Un DIF ou un CPF européen ?

Un DIF ou un CPF européen ?

Centre inffo nous apprend en ce début d'année que la présidence française de l'UE souhaite proposer et développer un "droit individuel à la formation européen" Que peut-il advenir de notre CPF/DIF avec ses 33 millions de titulaires, son petit million de formations annuelles et ses milliards de déficits ?

Quand en 2003 les partenaires sociaux (ANI de septembre 2003) décidèrent, unanimes, de créer un Droit Individuel à la Formation (dans la droite ligne de objectifs européens souscrits lors du sommet de Lisbonne de mars 2000) il s'agissait ni plus ni moins que de révolutionner à la fois la formation professionnelle (le salarié avait enfin d'initiative de sa formation) et le code du travail (le lien de subordination se relâchait en matière de formation professionnelle).

Certains parlèrent de révolution sociale au même titre de celle qui avait prévalu en 1936 avec les Congés Payés (il s'agirait donc désormais de "Formations payées") d'autres, plus cyniques et moqueurs, parlèrent d'un "DIF gadget" et deux consultants (Pierre Cahuc et André Zylberberg) achevèrent le travail de sape du DIF dans un rapport lapidaire en 2007 : "une formation professionnelle à la dérive".

Aussitôt lancé, aussitôt condamné le DIF erra pendant 10 ans (2004-2014) entre des salariés attentistes ("je garde mon épargne formation", "j'attends le chômage pour me former", "ça ne m'intéresse pas"...), des entreprises peu concernées ou désargentées ("on ne va pas former des salariés pour qu'ils nous quittent", "c'est à l'école de former sur les compétences de base"...), des OPCA soucieux de ne pas trop développer ce dispositif (qui prenait de leurs ressources pour la professionnalisation) et des branches professionnelles (plus de 700) qui traînèrent les pieds.

Fin 2013 : le MEDEF souhaita démanteler le DIF pour éviter un possible provisionnement des 120 heures de DIF cumulées par chaque salarié (au total 77 milliards d'euros selon les calculs de la Cour des Comptes).

Le CPF, qui n'avait pas encore de nom et n'avait dans un premier temps pas encore évacué le DIF, fut donc imaginé par le MEDEF fin 2013 et repris par les Pouvoirs Publics tout au long de l'année 2014 pour aboutir en janvier 2015 à ce Compte Personnel de Formation qui erre depuis sept ans entre :

  • Improvisations : démarrage en heures, puis en points et finalement en euros, avec les OPCO, sans intermédiaire, une "market place" aussitôt investie et polluée par des margoulins.
  • Comptabilisation : on ouvre grandes les portes des financements (2015, tout est possible même sans certification) puis on les referme subitement (2022 avec une chute drastique des certifications possibles),
  • Hyper-réglementation (Des CGU d'une centaine de pages qui ont changé six fois depuis 2015), le soutien des Pouvoirs Publics, puis le déclin de la communication,
  • La financiarisation de l'éducation dans des comptes (contes) imaginaires : comptes pénibilité et la multiplication des crédits sociaux (CEC, CPA, CPF élus, CPF handicapés, CPF permis de conduire...)

Le bilan du CPF/DIF après 17 ans d'existence est consternant et devrait faire reculer les Européens face aux prétentions éducatives des Français

  • 1 million de CPF chaque année mais un déficit de 2 à 3 milliards d'euros (à ce rythme il faudra en moyenne 30 ans à chaque travailleur pour se former, chaque actif pourrait, une seule fois dans sa vie, se former entre 20 et 60 heures) !
  • Des centaines de milliers de formations abandonnées, décevantes ou faiblement (si ce n'est aucunement) accompagnées,
  • Des chômeurs sommés d'utiliser leur CPF alors que Pôle emploi dispose de milliards pour les former,
  • Des jeunes sans éducation et sans CPF,
  • La responsabilité de sa formation incombant au seul salarié (ou travailleurs indépendants) et qui n'atteste d'une quelconque pertinene ou efficacité éducative,
  • Un stock gigantesque (au moins 50 milliards) de droits à la formation accumulés et infinançables (sauf par l'Europe !!!)
  • 30 milliards d'euros de droits créés en 3 années de monétisation (2019, 2020, 2021) avec en face une cotisation représentant environ 2,5 milliards (sur 3 ans),
  • 10 milliards d'euros de DIF rebasculés sur le CPF en 2020 (15 € par heure),
  • 10 milliards d'euros de CPF (DIF en 2007) des 6 millions de fonctionnaires

Le DIF (ou CPF) européen risque de se transformer en une nouvelle usine à gaz

  • Qui paierait pour créer un droit à la formation de 500 € (par exemple) pour (environ) 220 millions d'actifs soit 110 milliards d'euros par an ?
  • Quelle serait la quote-part des employeurs (3 % des sommes promises comme aujourd'hui en France ?) pour financer ce CPF/DIF européen ?
  • Quelle serait la quote-part des travailleurs (0 % des sommes nécessaires comme aujourd'hui en France ?) pour financer ce CPF/DIF européen ?
  • Sur quel temps les formations auraient-elles lieu : sur temps de travail (unifié en Europe), hors temps de travail (mais dans ce cas ni les Français ni les Italiens ne se formeront)
  • Qui gérerait ce système au niveau des 27 ? la Caisse des dépôts française ? celle là-même qui ne parvient pas à construire un site fiable et moderne (utilisant l'intelligence artificielle et le datamining) et qui nous a bâti un site inspiré du compte retraite, une bonne vieille base de données des années 90,
  • Quelle serait la certification pour se former en Europe ? Prétend-on imposer notre Qualiopi national (un fantasme de qualité) ou faudra-t-il négocier à travers l'Europe une certification qualité valable sur tout le continent ?

Multiplier les initiatives éducatives sans moyens ni intelligence pour les mettre en œuvre ne sert à rien

Depuis 1971 la France a le don de lancer des dispositifs de formation destinés à faire perdre du temps et les compétences des Français dans des reports, retards et improvisations permanentes. Le Droit à la formation peut être européen mais il devra être décliné dans chaque pays et la France va devoir rattraper 50 années d'errances éducatives

  • Un temps de travail revenant à 39 heures par semaine et dont 10 % devra être consacré à la formation
  • Un financement mixte (cotisation obligatoire) pour toutes les entreprises ET pour tous les travailleurs,
  • Un droit à la formation différé (au moins 1 année, similaire à l'ancien CIF) pour tous les travailleurs de niveau égal ou inférieur au bac,
  • Une libéralisation totale de la formation dans le secteur privé (l'Etat ne s'occupant plus que de former ses fonctionnaires, les chômeurs et des jeunes sans qualification).


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