Vers une meilleure compréhension du dispositif LCB-FT en France

Vers une meilleure compréhension du dispositif LCB-FT en France

Depuis plusieurs années, à la suite d’attentats et de différentes affaires médiatiques ayant révélé l’ampleur de l’évasion fiscale, la Lutte Contre le Blanchiment des Capitaux et le Financement du Terrorisme (LCB-FT) est une priorité en matière de supervision des organismes financiers.


Pour rappel, le blanchiment des capitaux consiste en la dissimulation de la provenance d’argent acquis de manière illégale et en son insertion dans des activités légales. 

Le financement du terrorisme, quant à lui, consiste à fournir ou à réunir, des fonds, des biens ou des services susceptibles d’être utilisés dans le but de faciliter ou de perpétrer des actes de terrorisme. Ces fonds sont noircis, leur destination est dissimulée. Ces ressources peuvent provenir de diverses sources, y compris des activités criminelles telles que le blanchiment d'argent.

 

On parle également d’AML en anglais (« Anti money laundering »).

Elle a été renforcée au fil des directives entrées en vigueur.


Depuis les attentats du 11 septembre 2001, la communauté internationale a placé au 1er rang de ses priorités la LCB-FT, c’est ainsi qu’est apparue, en 2005, la 3ème directive en la matière, abrogeant les anciennes. L’objectif était de clarifier les textes, de renforcer la coopération internationale et de renforcer les directives du Groupe d’action financière (GAFI). Les obligations de vigilance et de connaissance de la clientèle (KYC) existaient déjà.

En 2015, la 4ème directive est adoptée et s’appuie, comme auparavant, sur les recommandations d’une approche basée sur les risques, mis à jour par le GAFI. Les principaux points de cette directive sont l’élargissement du champ d’application, la nécessité d’une transparence autour des structures et renforcement du devoir de vigilance.

En 2018, la 5ème directive entre en vigueur dans un contexte post-terrorisme à la suite des attentats du Bataclan et de Charlie Hebdo en 2015. A noter que ces événements ont mené l’UE à rédiger le 5ème texte avant d’avoir mis le 4ème en œuvre.

La directive de 2018 réduit les plafonds des cartes prépayées, inclut parmi les entités obligées, les plateformes d’échange de cryptomonnaie et renforce toujours sa volonté de transparence à l’égard des structures.

Cette directive a été transposée en droit français par l’ordonnance n° 2020-115 du 12 février 2020.

En 2020, la 6ème directive de cette lutte entre en vigueur et revient sur les questions fondamentales de la LCB-FT. L’Union européenne durcit la lutte contre le blanchiment d’argent et reconnaît d’autres formes de criminalité financière, tout en renforçant le devoir de transparence depuis plusieurs directives. Le législateur français n’a pas eu à transposer en droit interne les évolutions qu’elle contient, les dispositions du droit pénal national étant jugées d’ores et déjà comme suffisamment conformes aux exigences de la directive. (complyadvantage.com)

La réglementation LCB-FT se trouve dans le Code Monétaire et Financier, de l'article L561-1 à l'article L561-50.

Ces directives prévoient un ensemble de mesures et de procédures mis en place par les gouvernements et les institutions financières pour empêcher les criminels de blanchir leurs capitaux ou de financer des activités terroristes.

 

Le 20 juillet 2021, la Commission a présenté un ensemble de propositions législatives visant à renforcer les règles de l'UE en matière de LCB-FT. Cet ensemble de mesures comprend :

  • L’institution d’une nouvelle Autorité européenne de lutte contre le blanchiment de capitaux (ALBC), avec un pouvoir de sanction
  • La refonte du règlement sur les transferts de fonds, qui vise à rendre les transferts de cryptoactifs plus transparents et entièrement traçables
  • Un règlement relatif aux exigences en matière de LCB applicables au secteur privé
  • Une directive relative aux mécanismes de lutte contre le blanchiment de capitaux

 

A ce sujet, le 18 janvier 2024, le Conseil et le Parlement sont parvenus à un accord renforçant les règles en la matière, avec, entre autres, l’élargissement des entités assujetties à la majeure partie du secteur des cryptoactifs, tout en imposant un devoir de vigilance à l'égard de leur clientèle et un renforcement des relations transfrontalières. Mais une nouvelle limite maximale de 10 000 € concernant le paiement en espèce. (data.consilium.europa.eu)

 

Cet accord porte sur 3 projets de législation :

-       Le règlement unique de l’UE

-       La 6ème directive relative à la lutte contre le blanchiment des capitaux

-       L’institution de l’Autorité européenne de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (ALBC), ou « Authority for Anti-Money Laundering » (AMLA)

(europarl.europa.eu)

 

Par ailleurs, les institutions concernées sont tenues de respecter ces réglementations et de signaler toute activité suspecte aux autorités compétentes. En cas de non-respect, elles s'exposent à des sanctions administratives et/ou pécuniaires pouvant être prononcées par la Commission nationale des sanctions (CNS), l’AMF, l’ACPR, ou les Ordres professionnels.

Les premières sanctions sont déjà tombées, l’ACPR a prononcé un blâme et sanction pécuniaire de 3,5 millions d’euros au motif que la société sanctionnée présentait des carences significatives en matière de mise à jour de la connaissance des clients, de vigilance et de détection automatisée des opérations atypiques, de délai de transmission des déclarations de soupçon et de contrôle. (acpr.banque-france.fr)

 

Pour ce faire, il conviendra d’analyser la partie réglementaire du dispositif LCB-FT (1), d’une part et de détailler la partie opérationnelle composée de 3 volets (2), d’autre part.

 

1. La partie réglementaire du dispositif LCB-FT

 

L’UE et le Groupe d’action financière (GAFI) définissent les standards et la réglementation LCB-FT, les autorités réglementaires sont chargées de transposer et d’appliquer cette réglementation, puis vient le tour du Conseil d’orientation de la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (COLB) d’être le pilote de la LCB-FT en jouant un rôle essentiel dans la coordination des actions des différents acteurs et dans l’élaboration de la stratégie nationale LCB-FT.

Le GAFI joue un rôle important dans la LCB-FT, ses recommandations sont reconnues comme les normes internationales en matière de LCB-FT et sont utilisées par les pays du monde entier. (fatf.gafi.org).

La 5ème directive LCB-FT modifie et complète la 4ème directive LCB-FT n°2015/849.

 

Elle introduit un certain nombre de nouvelles mesures :

  • Extension du champ d'application aux activités de crypto-monnaies (les nouvelles technologies financières comme les cryptoactifs sont des systèmes qui reposent sur l’anonymat, un obstacle à la LCB-FT)
  • Renforcement des obligations de vigilance client (KYC)
  • Mise en place d'un registre central des bénéficiaires effectifs (RBE)
  • Amélioration de la coopération entre les autorités nationales

(signicat.com)

 

Dont l’objectif est de :

  • Renforcer la transparence des personnes morales et structures juridiques complexes
  • Harmoniser les mesures de vigilance
  • Prévoir l’assujettissement aux règles LCB-FT de certains prestataires de services liés aux actifs numériques

(amf-france.org)

 

On distingue la nécessité d’une collaboration étroite entre les gouvernements, les institutions financières et les organismes chargés de l'application de la loi à l'échelle nationale et internationale à travers la mise en place d’un registre central et cet objectif d’harmonisation.

Concernant la 6ème directive, elle met particulièrement l’accent sur les infractions, elle en codifiera 22, et harmonisera les principales à l’échelle de l’UE (Traite d’êtres humains, Meurtre et violence sexuelle, Criminalité fiscale, Délit d’initié). S’ajoute à cela, la reconnaissance comme actes criminels : l’aide et l’encouragement au blanchiment d’argent.


Mais alors comment satisfaire aux obligations LCB-FT ?


L’ensemble de mesures précédemment énoncées impose aux institutions concernées de procéder à une analyse de leurs clients et adopter une stratégie au cas par cas :

D’abord, il convient de :

  • Analyser votre dispositif de Sécurité Financière (classification des risques, outil de transaction monitoring, PPE, gels des avoirs, déclarations TRACFIN)
  • Désigner un responsable de la conformité.
  • Identifier et évaluer les risques LCB-FT liés à votre activité et à vos clients

 

Pour ensuite :

  • Élaborer des politiques internes.

 

Enfin, il faut penser également à :

  • Créer un programme de formation pour les employés.
  • Mettre en place une veille réglementaire sur la Sécurité Financière
  • Prévoir une analyse et des audits indépendants.

(lexisnexis.com)

 

Afin d’être en conformité avec la LCB-FT, il convient dans un premier temps de mettre en place un processus KYC solide. Ce processus consiste à vérifier l’identité des clients lorsqu’ils se connectent à leur compte, principalement, à distance.

Mais ce processus permet également d’évaluer et de contrôler le risque client, par conséquent, il est un outil nécessaire aux entreprises pour qu’elles réduisent l’apparition de ces risques. (idnow.io)

 

2.     La partie opérationnelle du dispositif LCB-FT


La partie opérationnelle est composée de 3 volets, le volet préventif qui repose sur l’action des professionnels concernés pour satisfaire aux obligations LCB-FT, un volet de renseignement occupait par TRACFIN, puis le volet répressif qui repose sur l’action des services d’enquête administratifs et judiciaires, des bureaux de recouvrement et des juridictions dans le but d’identifier, de démanteler et de poursuivre les réseaux de blanchiment et de financement du terrorisme. (douane.gouv.fr)

 

  • Le volet préventif

 

Le législateur a soumis, à la réglementation LCB-FT, les professions qui sont particulièrement exposées au risque de blanchiment de capitaux et au financement du terrorisme, et notamment :

         • le secteur financier

         • les professions du chiffre et du droit

         • les vendeurs de biens de haute valeur

 

Il incombe aux professionnels assujettis de respecter les obligations et en matière de traçabilité des opérations, d’application des sanctions financières ciblées et de vigilance par l’identification et le signalement des opérations suspectes à TRACFIN. (douane.gouv.fr)

Les professionnels assujettis sont soumis à différentes autorités de contrôle telles que la Douane, la DGCCRF ou encore l’ACPR pour les banques, et peuvent être sanctionnés par les autorités de sanction qui en ont le pouvoir comme le CNS, l’AMF, l’ACPR, ou les Ordres professionnels.

 

2 types de sanctions peuvent être prononcées, cumulatives ou non, pouvant faire l’objet d’une publication nominative, à l’encontre des professionnels concernés :

  • Des sanctions administratives : avertissement, blâme, ou interdiction temporaire d’exercice de l’activité
  • Des sanctions pécuniaires : dont le montant est au maximum du double de l’avantage retiré du manquement lorsque celui-ci peut être déterminé́, ou, à défaut d’interdiction temporaire d’exercice, une sanction pécuniaire dont le montant ne peut être supérieur à 5 millions d’euros

 

Les assujettis ont l’obligation de vérifier que le client ne fait l’objet d’aucune sanction économique, que ce soit au niveau national ou international.

La vérification doit avoir lieu quel que soit le montant de l’opération ou la nature du bien objet de l’opération, et est rendue possible par la consultation du registre national des gels de la Direction générale du Trésor. (gels-avoirs.dgtresor.gouv.fr)

A l’issue de cette recherche, si le client apparaît sur le registre, alors le professionnel doit effectuer une déclaration à la Direction générale du Trésor, puis procéder au gel des fonds et ressources de la personne sanctionnée et ne doit pas procéder à l’opération. (Page 4 et 5, douane.gouv.fr)


La mise en œuvre et le respect des obligations, par les professionnels, constituent le volet préventif de cette lutte.

 

  • Le volet renseignement

 

Parmi les obligations à respecter, ces professionnels doivent déclarer tout soupçon auprès de la Cellule de Renseignement Financier (CRF) de leur pays dès que l’assujetti a un soupçon quant à la légalité d’une opération. En France, il s’agit de la cellule de traitement du renseignement et d’action contre les circuits financiers clandestins (TRACFIN).

TRACFIN enrichit et externalise les informations portant sur les opérations financières suspectes. 

 

Toutefois, il est intéressant de savoir comment et quand déclarer ?

 

Il convient pour chaque professionnel concerné de nommer, auprès de TRACFIN, via un formulaire, un déclarant et un correspondant (une même personne peut être nommée pour les 2 fonctions).


  • Le déclarant est chargé de la transmission des déclarations auprès du service.
  • Le correspondant est destinataire des accusés de réception des déclarations émises et traite ses demandes de communication de pièces ou documents.


L’envoi de ces déclarations peut se faire par courrier ou par téléprocédure.

La déclaration a priori, préalablement à l’exécution de la transaction, afin de permettre à Tracfin d’exercer son droit d'opposition.

Par conséquent, me professionnel doit s’abstenir d’effectuer toute opération dont il soupçonne qu’elle est liée au blanchiment de capitaux ou au financement du terrorisme.

(economie.gouv.fr) (page 14, douane.gouv.fr)

 

  • Le volet répressif


Le service de renseignement TRACFIN transmet, par la suite, les dossiers à la justice, à la police ou aux CRF des autres pays.


Il redirige les informations collectées vers :

  • les services d’enquêtes administratifs et judiciaires qui se chargeront d’enquêter,
  • vers les juridictions en charge de la condamnation,
  • vers le bureau de recouvrement des avoirs criminels doté d’un pouvoir de saisie et de confiscation des avoirs criminels. 

 

En conclusion, il faut savoir qu’en mai 2022, le GAFI a publié un rapport, le dernier en date, plaçant la France au premier rang en matière d’efficacité LCB-FT, aux côtés du Royaume-Uni.

A l’époque, le cadre LCB-FT français avait été qualifié de « robuste et sophistiqué, très efficace en matière d’enquête et de poursuite pour financement du terrorisme, de confiscation des avoirs criminels et de coopération internationale ». (economie.gouv.fr)

Pourtant, le 22 février 2024, les représentants du Conseil et du Parlement européen sont parvenus à un accord sur le siège de la future Autorité européenne de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (ALBC), ou « Authority for Anti-Money Laundering » (AMLA) : Francfort...

 L’AMLA commencera ses activités à la mi-2025. (consilium.europa.eu)


Valérie Hayek et Maël Gorgeon

Nathalie B.

Responsable conformité | Analyse de la conformité réglementaire

7 mois

Merci pour votre partage très didactique

Dylan Pernot Locatelli

Analyste LCB/FT - Crédit Coopératif

7 mois

Merci pour cet article très clair ! 🙌🏼

Pascal Lembas

Senior manager - Business Risk Services chez Grant Thornton France | Enquêtes internes, alertes Sapin II, fraudes, atteintes aux personnes Membre Association of Corporate Investigators (ACI)

7 mois

Très intéressant et utile, merci à vous de synthétiser la complexité de cette approche LCB/FT. Néanmoins, la partie consacrée au volet répressif (8 lignes uniquement) explique probablement la déconnexion entre la théorie et la pratique.

Stéphanie MARTINEZ

Responsable LCB-FT et maîtrise des risques

8 mois

Merci beaucoup !

Michel Kimboo

Courtier en Opérations de Banque - Co-Founder (Martinique - Guadeloupe - Guyane) Affacturage - Assurance-crédit - Leasing - Cautions.

8 mois

Merci infiniment !

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