Chronique résonance #28 · Revenir (Exposition MuCem)
L’expo en quelques mots
Le prisme est original : aborder les parcours d’exil sous l’angle du retour, ou plutôt du « revenir », titre de l’exposition. Un choix lexical qui n’a rien d’anodin : ici, il ne sera jamais question de figer un moment, mais plutôt de nous rendre témoins de vies en mouvement.
« Réinstallations, vacances au pays, tourisme des racines, mobilisations pour le droit au retour, contournements des frontières ou encore rapatriements post-mortem, les pratiques du revenir témoignent toutes des trajectoires de femmes et d’hommes qui ont dû, volontairement ou sous la contrainte, quitter leur pays et habiter l’exil. » [1]
L’exposition s’appuie sur cinq enquêtes-collectes menées par des chercheurs, anthropologues, géographes et artistes autour de la Méditerranée : entre l’île de Procida (Italie), Mers el-Kébir (Algérie) et La Ciotat (France)[2], dans la ville de Bitola (Macédoine du Nord)[3], dans les villages d’Iqrith et de Bir’em (Haute Galilée, Israël)[4], dans la ville de Rhodes (Grèce)[5], et enfin dans le camp de réfugiés palestiniens d’Aïda (Cisjordanie)[6].
En résulte une approche polyphonique du revenir, à l’image de la diversité des expériences vécues : vouloir, pouvoir revenir… Rêver revenir quand ce retour est impossible…
Je vous parle ici des échos, impressions que j’ai emportés à l’issue de cette visite.
Résonance 1 · Le « revenir », un prisme original et pluriel pour aborder les itinéraires biographiques
Si les récits de l’exil sont nombreux, plus rares sont les récits du retour. Notons d’ailleurs avec Céline Flécheux, auteure de « Revenir, l’épreuve du retour », qu’il n’existe pas de mots pour désigner celle ou celui qui revient.
« Revenant » ? Trop spectral. « Rapporteur » ? Au pire une injure, au mieux un évaluateur. Quant au « retourneur », il est d’usage industriel. Il existe bien « rapatrié », mais celui-ci n’a pas décidé de son retour ; quant au « rescapé », ce qui importe c’est l’épreuve qu’il a subie, même indéterminée, plus que son retour en lui-même."[7]
Une absence qui reflète le caractère insaisissable du revenir, qui prend tant de visages différents… Il y a les allers-retours, qui permettent au lieu natal ou ancestral de s’actualiser en permanence dans la mémoire… Et il y a aussi des retours après de longues années d’éloignement, voire des retours impossibles, des expériences marquées « par une temporalité arrêtée au moment du départ »[8], et « l’impossibilité de vérifier et d’ensemencer leurs souvenirs [qui] les contraint à forger une image fantasmée du lieu qu’ils ont quitté[9] ».
Résonance 2 · Des lieux qui avivent la mémoire
Un des quatre espaces de l’exposition se nomme « C’était ici que ». Comme la phrase prononcée par celui qui revient et par laquelle il introduit le récit du souvenir attaché au lieu. Comme la traduction d’une relation aux lieux fondée sur les expériences que nous y avons vécues[10].
La présence au lieu joue un rôle d’activation, comme l’écrit Giulia Fabbiano , co-commissaire de l’exposition :
« Revenir est cette présence qui permet la rencontre avec l’histoire familiale, l’arpentage de l’identité collective et la reconnaissance d’une subjectivité plurielle. »[11]
« C’était ici que » sous-entend aussi un dialogue. Celui qui revient se souvient, et il adresse ce souvenir. Abordons à présent le sujet de la transmission.
Résonance 3 · La transmission, acte qui peut remonter le cours des générations
Le psychiatre Serge Tisseron, que je citais dans l’article « Retrouver la mémoire », l’écrivait :
« Contrairement à ce que le mot transmission nous inciterait à penser, les échanges entre les générations ne fonctionnent pas dans le seul sens de celui qui descend le cours des générations[12] ».
Et c’est ce qui se produit aujourd’hui avec des descendants qui s’emparent de tout ce qu’ils peuvent collecter et reconstituent à leur manière une transmission empêchée par les frontières, la colonisation, la guerre…
L’installation La résistance des bijoux (2023), d’Ariella Aïsha Azoulay, est particulièrement éclairante sur ce mouvement. D'une ascendance juive algérienne par son père, elle se montre critique vis-à-vis de l'histoire de la destruction des cultures juives au Maghreb durant la colonisation et de son effacement dans le récit historique officiel. Il y a quelques années, elle a découvert que sa famille descendait de bijoutiers juifs de l’oumma. Elle s’est alors plongée dans les pratiques et techniques de fabrication de ses ancêtres.
« Réveiller la mémoire musculaire, corporelle et spirituelle de mes ancêtres par la fabrication de bijoux est devenu pour moi une manière de m’opposer au diktat impérial selon lequel la transmission serait unidirectionnelle, et qu’une fois interrompue, les descendantes et descendants seraient à jamais condamné·es à vivre privé·es de leurs ancêtres ».[13]
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Je relie ce mouvement à ce que la philosophe Vinciane Despret exprime quand elle écrit :
« un héritage, cela ne se reçoit pas passivement, mais se construit. L’héritage est avant tout œuvre de création[14]»
Résonance 4 · La puissance des récits de vie pour appréhender des phénomènes devenus insaisissables
Aude Fanlo et Camille Faucourt , co-commissaire de l’exposition s’interrogent sur les motivations des personnes qui ont accepté de livrer des fragments de leur vie : pourquoi confier à un musée français, qu’elles ne visiteront sans doute pas, des récits de leur expérience ?[15]. Je nous retourne la question : et nous, visiteurs, pourquoi nous intéressons-nous à des destins dont nous partageons, pour certains, peu de choses ?
Ce qui nous rapproche de ces histoires, me semble-t-il, c’est qu’elles nous sont racontées à hauteur de vécus, au-delà des catégories abstraites dans lesquels ils sont parfois enfermés.
Une nouvelle fois, j’ai été frappée de la puissance des récits de vie pour appréhender des phénomènes devenus insaisissables. Dans la partie consacrée à la Palestine par exemple, nous sentons la présence de ces femmes et ces hommes. Le brouillard du trop-plein médiatique qui nous empêche habituellement de les rencontrer est soudain dissipé. Nous pouvons enfin voir, entendre et imaginer ces vies. Et peut-être nous dire : il aurait pu m’être donné d'être l’une de ces femmes, l'un de ces hommes.
C’est là la force de l’exposition « Revenir » : proposer un espace où il est possible de penser autant le dénominateur commun des humanités (j’aurai pu être l'un d'entre eux), que la diversité des histoires mémorielles. Dans cette salle d’exposition aux espaces non cloisonnés, la mémoire de l’autre n’y est ni une menace, ni une potentielle concurrence, elle est un présent.
Revenir - Expériences du retour en Méditerranée, une exposition visible au Mucem (fort Saint-Jean / Bâtiment Georges Henri Rivière), jusqu'au dimanche 16 mars 2025.
Commissariat : Giulia Fabbiano, maîtresse de conférences IDEAS, AMU, et Camille Faucourt, conservatrice en charge du pôle Mobilités et métissages, Mucem / Scénographie : Claudine Bertomeu
[1] Extrait de la présentation de l’ouvrage, « Revenir. Expériences du retour en Méditerranée », FABBIANO G. FAUCOURT C., (Dir), Revenir. Expériences du retour en Méditerranée, coédition Mucem/Anamosa, 2024
[2] par Liuba Scudieri (anthropologue). Septembre-décembre 2020
[3] par Guillaume Javourez (géographe) et Pierre Sintès (géographe). Juillet-août 2022.
[4] par Adoram Schneidleder (anthropologue). Août 2022.
[5] par Pierre Sintès (géographe). Octobre 2022.
[6] par Marion Slitine (anthropologue) et Benji Boyadgian (artiste). Juillet-août 2023.
[7] FLECHEUX Céline, Revenir. L’épreuve du retour, Le Pommier, 2023
[8] FABBIANO G. FAUCOURT C., Le jour de mon retour, in FABBIANO G. Faucourt C., (Dir), Revenir. Expériences du retour en Méditerranée, coédition Mucem/Anamosa, 2024, p. 15
[9] ZASK J., Se tenir quelque part sur la terre, Comment parler des lieux qu’on aime, Premier Parallèle, 2023
[11] FABBIANO G. « Il n’y a d’exil qu’en occident », in FABBIANO G. FAUCOURT C., (Dir), Revenir. Expériences du retour en Méditerranée coédition Mucem/Anamosa, 2024, p. 33
[12] TISSERON S., Transmissions et ricochets de la vie psychique entre les générations, La revue internationale de l’éducation familiale 2007/2 (n° 22)
[13] AZOULAY A . A., Les gestes qui m’auraient été transmis si j’avais grandi auprès de mes ancêtres, in FABBIANO G. Faucourt C., (Dir), Revenir. Expériences du retour en Méditerranée coédition Mucem/Anamosa, 2024, p. 53
[14] DESPRET V., Les morts à l’œuvre, La Découverte, 2023
[15] FANLO A., FAUCOURT C., Revenir au terrain, revenir sur le terrain : itinéraire d’une enquête-collecte, in FABBIANO G. Faucourt C., (Dir), Revenir. Expériences du retour en Méditerranée coédition Mucem/Anamosa, 2024, p. 62
Consultante et Facilitatrice en Relations Humaines | Auteur Photographe
2 moisJe ne l'ai pas encore vue mais tu me donnes envie, merci Marie 🙂
Biographe ➰ Tissons des récits qui relient
2 mois📖 Je signale également le beau livre édité autour de l’expo (coédition Mucem/Anamosa) https://anamosa.fr/livre/revenir-experiences-du-retour-en-mediterranee/