Chronique résonance #26 · La promesse (Marie de Lattre)
Première de couverture (détail) de « La Promesse » (Marie de Lattre, Ed. Robert Laffont, 2023)

Chronique résonance #26 · La promesse (Marie de Lattre)

Le livre en quelques mots

Avec ce premier roman autobiographique, Marie de Lattre nous invite à entrer dans l’histoire de sa famille. Une famille dont elle apprend la singularité, à l’adolescence : son père lui confie alors qu'il a été adopté, que ses véritables parents étaient juifs et qu'ils ont été déportés et assassinés à Auschwitz.

Mais cette histoire familiale recèle bien d’autres secrets, que l’auteure ne connaitra que bien plus tard, à la mort de son père, lorsqu’elle se verra confier une enveloppe remplie de photos et de lettres. Autant d’indices qui viendront nourrir une enquête et qui l’amèneront à découvrir la relation particulière qui unissait les parents adoptifs et les parents biologiques de son père.

 

Résonance 1 · Comment se construire avec une transmission tissée de silences ?


La narratrice raconte comment son père lui a confié qu'il avait été adopté, et que ses véritables parents étaient juifs, déportés et assassinés à Auschwitz. Révélation qu’il a assortie dune injonction à se taire : «Tu as treize ans maintenant, tu peux comprendre ce dont je viens de te parler, je te fais confiance. Mais tu ne dois le dire à personne. »[1]

Des années plus tard, à la mort de son père, Marie de Lattre découvre que ce silence imposé est la répétition d’un autre silence, une absence de transmission du récit familial par les parents adoptifs de son père, et notamment de ce destin commun qui a uni les parents adoptifs et biologiques.

« En mourant silencieux, il [l’auteure évoque ici son grand-père Pierre de Lattre, père adoptif de son père] nous a privés d’une partie de notre histoire et nous a condamnés, mon père en premier lieu, mon frère et moi dans son sillage, à nous cogner longtemps dans l’existence. »[2]

« Se cogner dans l’existence » : l’expression est particulièrement poignante. À sa lecture, je me suis imaginé une pièce aveugle, plongée dans le noir, privée de cette lumière qui est la connaissance de son histoire.

Dans cet extrait, l’auteure utilise une autre formule forte : le silence d’un aïeul les a « privés d’une partie de [leur] histoire ». D’où cette question : notre histoire de vie nous appartient-elle ?


Résonance 2 · Notre histoire de vie nous appartient-elle ?


Marie de Lattre s’interroge dans le livre sur la transgression qu’elle opère à travers la publication de ce livre. Continuer à se taire, c’est être fidèle à l’ordre que lui a intimé son père lorsqu’il lui a simultanément révélé et demandé de taire ses origines. Mais se taire, c’est aussi perpétuer un silence qui menace de peser sur les générations à venir. Et celle à qui le père a enjoint de garder le silence est devenue parent à son tour, mère de deux filles.

Ce dilemme résonne avec celui exprimé par Anne Berest dans son roman La Carte postale[3], une histoire jumelle de La Promesse. Une enquête qui amène l’auteure-narratrice à reconstituer son passé familial et à découvrir ce qu’il est advenu de ses aïeux juifs durant la guerre. Cette quête suscite à un certain moment la résistance de la mère de la narratrice, résistance que celle-ci tente de comprendre, tout en défendant la légitimité de sa quête : 

« Maman,

Myriam [la grand-mère de la narratrice, mère de sa mère] pensait que la guerre n’appartenait qu’à elle. Elle ne comprenait pas pourquoi elle devait t’en livrer le récit ; Alors évidemment, en m’aidant dans mes recherches, tu te sens la trahir.

Maman, ce récit est aussi le mien. Et parfois à la façon d’une Myriam, tu me regardes comme si j’étais une étrangère dans le pays de ton histoire. Tu es née dans un monde de silence, il est normal que tes enfants aient soif de parole. »[4]


Cela fait maintenant quelques siècles que l’individu se construit comme sujet dans nos sociétés, et s’émancipe progressivement des injonctions d’entités comme l’état, la religion… et la famille. Difficile, dans ce contexte, de penser son histoire personnelle comme pouvant être, aussi et en partie, celle de ses descendants.

Cette difficulté à « partager » son histoire de vie a une résonance très vive dans ma pratique de biographe. Nombreux sont les projets de biographie voulus par les enfants ou les petits-enfants qui ne se réalisent pas, parce que les futurs narrateurs refusent de s’engager dans cette voie. Les raisons de cette réticence sont diverses mais elles sont liées, de mon point de vue, par un trait commun : l’idée que leur histoire de vie est la leur, pas celle de leurs descendants.

Je ne sais pas répondre à la question « notre histoire de vie nous appartient-elle ? ». En revanche, je suis convaincue de deux choses : que le choix du narrateur de ne pas se raconter est à respecter, absolument. Mais que ce choix de se raconter ou non peut aussi être éclairé à l’aune du besoin de ses descendants de comprendre d’où ils viennent.

Marie de Lattre l’écrit à la fin du livre : « Mes filles sauront d’où elles viennent sans en porter le poids, et cela me réjouit. »[5]


[1] DE LATTRE M., La promesse, Robert Laffont, 2023

[2] DE LATTRE M., ibid

[3] BEREST A., La carte postale, Grasset, 2021

[4] BEREST A., ibid

[5] DE LATTRE M., ibid

Myriam Martin

Biographe certifiée, expérimentée en accompagnement, je recueille votre récit pour transmettre un livre aux destinataires de votre choix que vous soyez particuliers, couples, associations ou organisations.

2mo

C'est une question super intéressante qui est posée par l'autrice à laquelle tu consacres ta resonnance: notre histoire nous appartient-elle ? Cela m'évoque tout un tas de pistes et de réflexions. Dire "je" dans une biographie est comme une invitation à livrer un bout d'histoire sans se poser la question de l'appartenance. Puisque la vie m'a été donnée alors, tant que j'en porte le flambeau, il m'est confié. J'aime croire que le support de la flamme, le chemin qu'elle parcourt sont miens. Je porte le feu mais pas ses destructions passées... Dans une ancienne formation "pour une éducation à la vie" un formateur féru de psychogénéalogie affirmait : " le secret c'est du poison", il faudrait s'en rappeler quand quelqu'un nous faut promettre de ne pas dire. Notre loyauté ou notre liberté ? Notre conscience ou notre inconscience ? Et ce qui s'applique à la vie personnelle devient déontologie quand le secret s'invite dans les entretiens biographiques. J'aime nos chartes quand elles affirment les limites de nos écritures, : je n'écrirai pas ce qui porte atteinte... Se délier d'un secret est une démarche salutaire dans l'autobiographie quand le temps de la maturité est venu. En tout cas merci Marie de nous inviter à rai(é)sonner !

Dominique LE GALL

BIOGRAPHE HOSPITALIÈRE - BIOGRAPHE À TITRE PRIVÉ ✍ (Paris et Ile-de-France - Province possible) - Membre de l'association de biographes professionnels BIOGRAPHICUS

2mo

Voilà qui donne envie de découvrir ce livre Marie DULAURIER !... Même si j'en ai déjà une vingtaine en attente ! 😱

Anne Lepicard

Biographe certifiée - Je recueille votre récit de vie, témoignage, histoire collective… pour écrire votre livre.

3mo

Merci Marie pour ce nouveau partage qui interpelle notre curiosité de biographe ! Tu m'as donné envie, et je vais de ce pas me procurer ce livre. A très vite pour en échanger ! 🤗

Lucile Métout

Biographe, rédactrice et correctrice

3mo

Merci d'attirer notre attention sur cet ouvrage, Marie. Le projet de Marie de Lattre est magnifique, et vous me donnez envie d'aller découvrir sa concrétisation ! Ce sera l'occasion de vous faire un retour sur les questions qu'elle soulève. En lisant celles que vous posez vous en début de post, je pense à la frontière psychologie/biographie que nous devons maintenir malgré sa porosité. L'autre chose qui me vient, c'est l'absolue nécessité d'être conscient de la portée de notre travail. Et l'importance de le faire avec déontologie.

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