Et si vous demandiez à vos managers ce qu’ils ont fait la semaine dernière pour lutter contre la stupidité organisationnelle ?
On se souvient du principe de Peter sur l’incompétence des chefs. Le propos : nous sommes, à quelque niveau que ce soit, dirigés par des incompétents. Pourquoi ? Parce que dans une logique pyramidale et dans une organisation, chacun progresse jusqu’au jour il se révèle incompétent. Comme celui qui l’a nommé ne saurait se déjuger il sera maintenu dans son poste. Et cela est vrai pour tous les niveaux hiérarchiques.
Plusieurs arguments nous poussent à imaginer que ce principe est daté et n’est plus opérant.
· Première remarque : le nombre de niveau hiérarchiques s’est fortement réduit et les objectifs se sont individualisés. Conséquence, l’incompétence est plus voyante. Il est plus difficile de la compenser par des personnes ressources présentes dans l’environnement. Les adjoints zélés et efficaces laissent maintenant paraitre la réalité de leur travail et ne jouent plus les doublures que très rarement. Ceci, même dans les PME ou des liens familiaux font parfois subsister la pratique.
· Par ailleurs nous ne sommes plus dans une société de croissance. Le livre est paru en 1969. En France elle s’élevait à 7 %. Dans ce contexte ; il s’agissait de courir après des parts de marché, et pas de s’interroger sur la pertinence de l’offre faite au client. Tenir un poste aujourd’hui nécessite des compétences autrement variées que de simplement tenir ses troupes.
· Enfin, et conséquence du fait préalable, l’ingénierie RH est passée par là. On ne nomme plus en récompense de mérites passés. On étudie précisément les requis du poste en termes de compétences transverses et relationnelles, les soft skills. On interroge les motivations du candidat. On lui demande de s’engager sur la mission, les valeurs.
Bref. En un mot comme en mille. Tout pousse à penser, quand on analyse, que le principe de Peter n’a plus aucune actualité
Pourtant, dans le réel, dans les discussions avec les stagiaires l’incompétence des chefs revient toujours sur le devant. Leur stupidité est évoquée fréquemment. Avec forces témoignages et exemples (pertinents) à l’appui.
Y a-t-il une stupidité d’hier – le principe de Peter, et une stupidité d’aujourd’hui ?
Pour deux consultants américains, Mats Alvesson et André Spicer, et comme nous le dit Ghislain Deslandes, la stupidité organisationnelle est toujours là. (Voir vidéo jointe). Avec une nuance semble-t-il. Le stupide de Peter ne savait pas qu’il l’était. Et, répétons-le, la croissance économique d’alors permettait qu’on ne lui demande pas de s’en rendre compte. Alors qu’aujourd’hui, il faudrait être intelligent pour être fonctionnellement stupide.
· Première étape. Ne pas s’interroger sur la doxa, ne pas interroger les croyances dominantes. On comprend qu’un bon « surfeur» a compris qu’apporter la contradiction en public, est dommageable a sa carrière. Mais pour Ghislain Deslandes c’est pire. S’ils n’interrogent pas ces croyances c’est parce qu’ils en sont incapables. (François Dupuy ou Antoine Frérot dirait la même chose mais en pointant l’insuffisance de culture sciences humaines).
· Deuxième étape. Préférer le respect de l’ordre hiérarchique, des conventions, des tabous organisationnels plutôt que de poser la question du pourquoi de l’action.
· Troisième étape. Ne pas s’interroger sur les conséquences de ses actions au-delà de ce qui relève de son périmètre propre.
Cette nouvelle étude sur la stupidité est le résultat d’une enquête. Les auteurs partent de faits. La chute de Nokia s’expliquerait par la culture organisationnelle qui y existait et où l’esprit critique n’était pas souhaité.
Mais pourquoi parler de paradoxe ? Y a-t-il un choix à faire ? Un curseur à poser ? Ce curseur est un arbitrage entre le court terme et le long terme.
Il y a à court terme un gain à pratiquer la culture de la stupidité fonctionnelle. L’entreprise fonctionne plus vite quand personne ne s’interroge. Mais ce gain est perdu sur le long terme si personne n’est prêt à tirer sur le signal d’alarme quand on commence à percevoir le mur.
Dans le dernier numéro de liaisons sociales François Dupuy traite indirectement du même sujet en indiquant que la méconnaissance des réalités par les managers les amène à agir de manière stupide. Il pointe l’injonction paradoxale consistant à demander toujours plus de coopération tout en appelant chacun à développer son autonomie. Or pratiquer la coopération c’est se mettre en situation de dépendance, c’est devoir régler des conflits. Bref tout l’inverse de l’autonomie. Il voit dans le court termisme des managers, dans leur difficulté à voir les problèmes de manière globale la raison de ce même écart.
Comme il plaide pour un management responsable, il n’oublie pas de pointer les souffrances que cette situation crée pour les collaborateurs ainsi que la grave conséquence que cela produit pour l’entreprise : la perte de confiance dans le management.
La perception des stagiaires est juste. La stupidité organisationnelle est toujours là. Mais les causes qui la produise ont changées. Elle est aussi inhérente à la vie des organisations que l’est la bêtise pour les individus.
On demande régulièrement à un manager ce qu’il fait pour lutter contre le manque de productivité. C’est normal. La baisse tendancielle de celle-ci est l’invariant des organisations
Mais la stupidité semble être un invariant tout aussi fort. Alors pourquoi ne pas lui demander aussi ce qu’il a fait dans le dernier mois, dans les dernières semaines, contre la stupidité organisationnelle ?
Voilà la question originale avec laquelle alimenter le reporting. Reste à savoir si cela le rendra consistant.