Futur du travail. 4 pistes à approfondir pour les générations futures !
ACTUALITE DE LA PENSEE SOCIOLOGIQUE DE RENAUD SAINSAULIEU
Par Philippe Pierre - Sociologue Praticien - (www.philippepierre.com)
Le sociologue Renaud Sainsaulieu a été pour nous source puissante d'inspiration.
Dans ce texte, nous portons un regard sur l'évolution du sens du travail et le renouveau des formes d'engagement en mobilisant son héritage sociologique.
Nous pointons quatre chemins de progrès pour les univers du travail, des entreprises et des organisations. Nous regardons vers le futur.
1, Demain, tous un peu slasheurs ? Pas vraiment…
Renaud Sainsaulieu, dans un entretien au journal Le Monde en 1995[1], le réaffirme : « L'emploi doit être considéré comme le cadre de relations obligées qui amènent chacun à se différencier des autres. Maîtriser une activité professionnelle, c'est compter dans le regard de l'autre, qu'il soit collègue, chef ou subordonné, c'est pouvoir se faire écouter. Même si l'on est seulement « utilisé », on existe, on a une raison d'être. Et comme chaque jour est l'occasion d'en faire l'expérience, la personnalité y conquiert au fil du temps son épaisseur et sa cohérence. Lorsque le travail est vide de tout élément de reconnaissance, sur la chaîne par exemple, cette « expérience cumulative » ne peut pas se produire et l'on se vit comme sans valeur, sans personnalité. On ne peut alors se définir qu'en réaction à une sorte d'expérience plate, à travers la lutte contre l'aliénation et l'affirmation d'une identité collective ».
Comment ne pas voir en creux, dans ces propos, la condition de nombreux travailleurs des plateformes et les circonstances d’une aliénation quotidienne pour celles et ceux qui tentent d’articuler les bouts de leur existence avec des bouts d’emplois fragmentés ?
Avec un nouveau rapport technologique aux autres marqué par l’éphémère, de nouvelles manières de s’accaparer la subjectivité des acteurs fleurissent autour de l’individu consumériste, de l’émotion, du local, des identifications multiples, du passage d’un capitalisme obnubilé la production à un capitalisme centré sur la consommation, ce qui entraîne l’avènement d’une culture nouvelle, organisée autour de modèles culturels et normatifs à base de séduction[2].
La puissance de l’œuvre de Renaud Sainsaulieu éclaire cette coexistence paradoxale de l’Un et du Multiple dans la définition de notre identité quand monte en flèche, notamment aux États-Unis, des « pluri-travailleurs » qui semblent multiplier sphères d’expression de soi, construction de relations affinitaires et amicales comme registres d’activités[3].
Jacqueline Barus-Michel et Eugène Enriquez le soulignent aussi : « C’est parce que les normes ne sont plus quasi stationnaires » que « le monde devient en proie à des joueurs qui pensent changer leurs coups au dernier moment »[4]. L’individu de la modernité tardive appartient simultanément à plusieurs champs sociaux et « navigue » en permanence dans des temps et des lieux multiples[5].
Ces « pluri-travailleurs » fuient une forme d’ennui qu’incarne pour eux le travail dans un poste à temps plein en un seul lieu. Baptisés « slasheurs » en raison des barres obliques qui « coupent », « segmentent » et même plutôt s’additionnent sur leurs profils, ils assument pleinement ce trait incliné entre leurs identités multiples. Choix de temps comme suspendus qui ne sont pas oisiveté (congès parentaux, congès sabbatiques, pauses dans les études, caractère différé, par choix ou contrainte, de l’insertion professionnelle et/ou du départ du foyer parental, périodes de chômage…). Claude Dubar, aussi, avait pointé cette identité indépendante correspondant à des jeunes professionnels avides de formation, qui ne se définissent pas par rapport à leur entreprise, mais affirment un projet personnel. Voulant « manger le dessert en premier », les anticipations d’un futur tout programmé s’estompent.
Renaud Sainsaulieu avait pleinement souligné le fait que les entreprises doivent faire face aujourd’hui à une exigence de rentabilité immédiate et à une complexification croissante des situations de travail. Le caractère polymorphe du besoin de reconnaissance (culturel, ethnique, social, religieux aussi...) s’exprime avec une acuité plus aiguë dans des sociétés où les salariés n’entretiennent plus le même type de relation avec leurs employeurs et savent souvent que leurs trajectoires professionnelles, à défaut de possibilités d’emploi à vie, devront se réaliser au sein de plusieurs « boites ». Dès lors, la construction des identités au travail se fait moins par le truchement du collectif (que celui-ci s’exprime par la grève, l’appartenance syndicale ou l’engagement politique) que par l’âpre élaboration de stratégies individuelles tendant à garantir, pour le salarié, son employabilité future.
Et alors qu'il pouvait être légitime, en période de croissance, d'analyser les organisations comme des unités d'action générant leur propre logique, de façon quasi autonome, à partir des stratégies d'acteurs fondées sur des relations de pouvoir, il est plus difficile de le faire lorsque les environnements pertinents de l'action sont instables et incertains[6].
Si l'identité au travail dépend des conditions d'accès au pouvoir dans les interactions de travail, reconnaissons que les frontières de l’organisation ne cessent de se distendre.
L’acteur social est appelé à tisser et retisser des liens au sein d’une société écartelée par les forces divergentes du marché mondialisé. Il est moins le représentant d’un groupe et de la logique sociale inhérente à ce groupe que le produit complexe d’expériences socialisatrices multiples. Ceci invite à porter attention à la manière dont l’individu relie des aspects de soi à un espace social lui-même démultiplié. Nous utilisons souvent la métaphore de l’archipel[7] pour décrire ce temps contemporain qui excède un âge industriel qui se serait seulement « complexifié » en s’adjoignant un âge commercial (consommation à outrance) et un âge financier (la spéculation)[8].
La figure de l’archipel nous semble illustrative d’une partie des métamorphoses du monde. L’archipel sous-entend ce passage d’une perspective fixe et prévisible, d’un « espace euclidien à deux dimensions, avec ses centres, ses périphéries et ses frontières à un espace global multidimensionnel avec des sous-espaces sans frontière, généralement discontinus et s’interpénétrant »[9].
L’archipel renvoie pour nous, plus largement, au passage d’une société pyramidale vers une remise en cause des figures d’autorité du haut vers le bas (dans l’Armée, dans l’Ecole, dans l’Eglise, dans le champ du travail…) et, au final, la mise en interrogation de toute idée de centre unifié et perçu comme légitime par le plus grand nombre. C’est un peu le modèle du Père qui s’aplatît et les pairs qui peinent à trouver leur place.
La déconstruction de la figuration en peinture, de la tonalité en musique, de la chronologie dans l’art romanesque et théâtral sont autant de signes invitant à mieux comprendre cette remise en cause de tout ordonnancement séquentiel linéaire, de tout centre hiérarchique sous l’effet de l’écrasement apparent des structures d’ordre[10].
Avec cette perspective d’archipel, de flux, de déplacements… c’est aussi l’enjeu même de la critique sociale qui change en insistant davantage, comme l’a fait le sociologue John Urry, sur les inégalités d’accès (aux transports par les airs, la mer, le rail, les autoroutes, aux câbles de fibre optique pour le téléphone, la télévision et les ordinateurs…) que sur la dénonciation des inégalités liées aux jeux de la reproduction de positions anciennes propres à la lutte des classes.
Celui qui est « perdant » dans ce monde est celui qui est comme rivé au sol et qui pâtit, par exemple, d’un temps long d’interaction dans l’échange écrit, d’une incapacité de s’affranchir des contraintes de distance pour produire avec d’autres un savoir, d’une faible capacité de stockage de données « en nuage », « d’objets communicants » autour de lui....
Etendre la métaphore de l’archipel aux employés des entreprises dite « plateforme » telles que Uber serait abusif tant les choix professionnels de ceux qui y travaillent sont subis et les conditions précaires. Ils prendront le tout dernier métro du soir après avoir livré à vélo toute une journée. Pour eux, la fragmentation des liens et une économie de la « débrouille »[11], et non la figure de l’archipel[12]. Les mondes sociaux, qu’ils soient de l’entreprise ou de la société, renvoient donc largement à un « déterminisme social » que Renaud Sainsaulieu a toujours reconnu et à l’idée selon laquelle la position sociale d’un individu à l’âge adulte serait en large partie déterminée à sa naissance par l’origine socio-économique de ses parents.
2, Le développement social et la gestion des « personnes » plutôt que la gestion des ressources humaines
« Une société libérale de marché a besoin d'acteurs pour prendre les risques de la créativité et de la production, sans revenir aux modèles régressifs du paternalisme ou de la social-démocratie comme seul mode d'existence sociale, à côté de l'imperium de la technocratie des experts de haut niveau » (Renaud Sainsaulieu, Article L’identité en entreprise, p. 260).
Renaud Sainsaulieu entrevoit, depuis longtemps, « les failles d’un management fragmenté qui traiterait séparément l’organisation du travail, la performance économique, la gestion des hommes et la reconnaissance des identités au travail »[13]. Marc Uhalde, lui aussi, a su pointer que l’entreprise était un « système présentant des carences de régulation sociale patente »[14].
Aussi, le développement social de l’entreprise est une des grandes affaires de Renaud Sainsaulieu. Il appelle à un réveil en entreprise pour discuter des principes et négocier les décisions. Et non pas sur le seul espoir de la transformation lointaine et future de l'Etat[15].
La mise en débat suppose de pouvoir susciter des relations intersubjectives dont la fonction première n’est pas l’accord mais bien la mise en réflexion sur l’expérience de chacun, l’analyse des différences et, enfin, le choix des solutions[16].
Il conduit à instaurer une sociologie dans l’entreprise où l’on questionne les outils managériaux (les formes de contrôle social, les vraies libertés laissées, la recherche du meilleur chiffre possible…). Il propose une « internalisation » du processus d'intervention sociologique qui en appelle à une définition nouvelle de l’action de dévoilement, en lieu et place d'une simple « gestion des ressources humaines » par actions successives d'ajustement et le risque d’ajouts plaqués d’actions supposées transformatrices sur une structure existante.
Philippe Robert-Tanguy a raison d’écrire que « dans le monde des entreprises, faire de l’intervention sociologique revient de fait à mobiliser les sciences de gestion » et que dès lors, (trop) « peu d’ouvrages de sociologie s’aventurent sur le terrain des solutions, et osent passer du diagnostic au pronostic alors même que les sujets ne manquent pas : notamment les questions identitaires autour de l’auto-entrepreneuriat, les plateformes, les makers, le bénévolat associatif [17].
On peut définir le développement social d’entreprise comme une forme d’humanisme au cœur du développement économique et institutionnel pour éclairer les prises de décision et produire des formes de régulation non étouffantes dans la société. Si les rapports humains de travail ont effet de « structuration sociale »[18], alors la participation des travailleurs aux décisions qui les concernent est un droit à défendre et étendre. Un droit où les acteurs produisent eux-mêmes un « système de règles » dont ils acceptent (au moins pour un temps) les contraintes pour pouvoir agir ensemble sans qu’il y ait besoin pour cela de commande ou contrôle émanant systématiquement d’un niveau supérieur.
Pour cela, une grande place est faite à la démarche d’enquête, à l’opérationnalisation des concepts, à la construction de grilles d’analyse qui ne sont pas copiées de l’extérieur et imposées de manière top-down. C’est bien le déficit d’écoute en interne qui pousse à un excès d’écoute de solutions externes qui fascinent[19].
Le développement social doit permettre d’organiser des controverses entre les différentes normativités à l’œuvre dans une entreprise et de ne pas céder à « l'obsession de comment améliorer les choses et non pas de pourquoi améliorer les choses »[20].
Le développement social admet une conception de la recherche qui ne soit pas seulement « une recherche sur l'action mais une recherche dans l'action, une recherche transformative où le chercheur, participant à la vie de l'organisation, conçoit, met en œuvre, analyse, communique, diffuse les résultats obtenus tant à l'intérieur de l'organisation auprès des praticiens, qu'à l'extérieur en direction des milieux académiques»[21].
Pour cela, il faut aider à déjouer la conviction que chacun est la cause de ce qui lui arrive en rendant plus clair les formes de mobilisation psychique induites par les organisations (en tentant de les clarifier aux salariés) . Il convient non pas de faire en sorte que les gens sachent mieux assurer leur pouvoir sur les autres, mais de faire en sorte que chacun puisse exercer le minimum de pouvoir qu'il est capable de développer en lui[22].
Nous militons, nous aussi, pour le passage d’une sociologie de « l’agent » en entreprise, où tous les acteurs au travail seraient écrasés par les conditions de leur domination, à une sociologie de la « traduction » qui, ne faisant pas l’impasse sur les rapports de force et de pouvoir, montre également comment les acteurs élaborent des discours sur l’action et font que l’entreprise « ne peut en effet se réduire à un « théâtre » pour des jeux d’acteurs, mais se caractérise au contraire par une propension à produire des valeurs, des normes et des représentations », comme un lieu où se combinent sens symbolique, intérêt et identité.
Promoteur d’une sociologie « consultante », c’est-à-dire clairement « utilitariste »[23], « intervenante » et professionnalisée où la variable humaine n’est pas une « variable d’ajustement »[24], Renaud Sainsaulieu souligna aussi l’importance de la formation longue pour adultes dans les processus de transformations identitaires, persuadé qu’il s’agissait là d’un des moyens permettant d’impulser le changement, c’est-à-dire d’abord le débat qui suit la dissension, au cœur des organisations[25].
Le développement social est une constante épreuve d’altérité. « C’est un éthos, non un topos : elle est l’espace ouvert sur l’inconnu, non pas le lieu commun d’une doxa ou d’une morale qui dicte d’avance notre savoir et nos conduites »[26]. Ethos en effet, d’abord sans morale propre, « une « manière d’être ensemble » dans et par le langage et les images qui ne passe pas par un système de valeurs institué mais par des formes d’énonciation dialogiques qui favorisent la libre circulation des affects et des percepts même les plus associaux (…) »[27].
Le rôle du sociologue est de dévoiler des rapports de domination (ce que les individus vivent sur le mode de la certitude et qui ne serait en fait que de la contrainte sociale intériorisée) et aussi de saisir les variations de l’expérience vécue des acteurs. Les sciences sociales ont, en ce sens, une double mission d’analyse et de transformation sociale.
« Passer par la Chine, c’est tenter d’élaborer une prise oblique, stratégique, prenant la pensée européenne à revers, sur notre impensé. J’appelle « impensé » ce à partir de quoi nous pensons et que, par là-même, nous ne pensons pas »[28] écrit François Jullien, penseur des écarts[29].
Analyser des écarts, comme y invitent François Jullien et Renaud Sainsaulieu, revient implicitement à questionner la norme qui prévaut dans un groupe social. La divergence qu’opère l’écart ne se réduit pas à une diversification, mais va plus loin selon nous[30]. Corriger ou aménager le « travail du négatif » opéré par le fonctionnement même des institutions implique d’adopter une posture qui revisite, voire conteste, la norme des puissants. Ce qu’à du mal à faire une simple gestion des ressources humaines. L’écart rappelle, à nos yeux, que l’interculturel est circulation, résistance, mise en tension, définition de possibles principes possibles de justice « intra-organisationnels »[31] mais aussi dénonciation des rapports de force injustifiés.
S’en préoccuper sincèrement en entreprise, c’est prendre le risque pour des dirigeants de reconnaître, par exemple, que dans leur organisation, des étrangers s’intègrent mal, sont victimes des discriminations non intentionnelles, que des personnels méritants sont injustement sanctionnés et victimes de stress, de violence symbolique au travail.
A travers des contextes sociaux devenus pluriels, potentiellement antagonistes et mobiles, l’analyse organisationnelle tendrait clairement à se polariser autour de la notion de relation et d’échanges d’expériences.
Toutefois, on pourra remarquer que si tout devient affaire de conviction et de motivations partagées, un des risques dans « l’entreprise interculturelle » est fondée par ce qu’appelle Danilo Martucelli, le risque de « relance constante des revendications identitaires » : « plus une société s’engage dans des programmes d’équité, plus il y a (soit par déprime identitaire, soit par essentialisation des identités) des revendications identitaires. Dans certains cas, il se peut même que ce que les acteurs gagnent en équité, ils le perdent en différence »[32]. Les différences ne s’ajouteraient pas mais se multiplieraient pour compliquer d’autant les procédures de gestion de l’entreprise comme système politique.
3, L’optimisme de combat plutôt que la prophétie du malheur[33]
Scott Fitzgerald disait : « il faut être certain que le monde est sans espoir et néanmoins être décidé à le changer »[34].
Une fonction critique traditionnelle du sociologue s’articule autour d’une capacité à faire apparaître dans la conscience des acteurs des rapports de conflit ou de domination qu’ils n’imaginaient pas.
Mais « dans une recherche, la plupart du temps les gens diront plus ce qui va mal que ce qui va bien » rappelle Eugène Enriquez[35]. Renaud Sainsaulieu n’est pas sociologue des aspects inertes ou cadavériques[36]. Il ne « pathologise » jamais les choses.
Il en appelle, au contraire, à la figure de la responsabilité et à la force de savoirs, certes parcellaires mais situés, et pouvant toujours être combinés autrement afin d’aider à comprendre le tout et l’analyser plus finement.
Le choix de la complexité fait par Renaud Sainsaulieu suppose un difficile travail de deuil, celui de la croyance en la possibilité d’une explication universelle.
Chez lui, les grands principes explicatifs vont vers l’étude des processus et des écarts dont nous parlions plus haut. Il veut saisir non la photographie de ce qui existe mais la dynamique de ce qui peut exister[37]. Il embrasse le vivant. La vie vaut la peine d’être vécue.
Il y a quelque chose d’optimiste dans l’intervention des sociologues professionnels. Et même un idéalisme que nous assumons.
Quand on implique les individus, on les rend plus lumineux, comme le disait Renaud Sainsaulieu à la suite de Jean Jacques Rousseau : « la démocratie n’existe qu’autant que les sujets sont capables de développer des modes de communication, où chacun éprouve le caractère irréductible de son être mais a envie de construire quelque chose (une relation, une organisation, une œuvre) avec autrui considéré comme son égal »[38].
Une très large partie de la communauté sociologique pense à changer le monde. Une autre, minoritaire, d’abord à se changer nous-mêmes.
Et aussi échapper, pour reprendre une expression de Renaud Sainsaulieu, à une sorte « d'impasse imaginative », où il est plus facile, et même presque fascinant, de démontrer les mécanismes sociaux de la reproduction et de la résistance des forces installées, que de percevoir les voies, par ailleurs désirées, d'une action concrète menant à des changements utiles.
4, Une perspective humaniste
La définition de l’humanisme est sur le fronton du temple de Delphes : « Connais-toi toi-même et tu connaîtras le secret de l’Univers et des Dieux ».
Confrontés à des situations inédites, le monde, pour Renaud Sainsaulieu, est aussi ce que les acteurs en font. Parler d’identité, c’est admettre qu’elle ne provient pas uniquement « des profondeurs de l’être, mais aussi d’un point de vue énoncé à la première personne du singulier »[39]. Norbert Alter écrira aussi que « si les organisations et les activités professionnelles ne sont pas définies par des lois extérieures à l'action humaine, il est possible de participer à leur élaboration »[40].
Carl Rogers avait montré la voie d’un être humain comme potentialité : « Le seul savoir qui influence vraiment le comportement, c’est celui que l’on a découvert et que l’on s’est approprié »[41]. Une situation de travail est d’abord composée de sujets, à la fois assujettis et capables de s’autonomiser - pour une part – desdits déterminismes par un travail sur soi-même. Dès lors, tout individu participe à la production de la société, que ce soit à sa reproduction ou à son changement. Travailler sur soi, c’est agir sur le social, le politique, l’organisé, l’institué… Tout homme est politique. C’est le sens premier de notre vie.
On ne gagne pas parce qu'une stratégie ou une intuition d'un dirigeant est juste. On commence à le faire quand on veut tirer parti systématiquement de l'intelligence de tous et à tous niveaux dans l'organisation... Les raisonnements des femmes et des hommes au travail peuvent s’expliciter et se prêter à la contradiction. Et la déviance peut être source de progrès quand elle ne se décline pas sur le mode systématique de l’agression[42].
Quand certains n’entendent que purs rapports hiérarchiques et réglementaires, le changement dans les organisations est possible et l’acteur, s’il parvient à se relier à des collectifs nourrissants, détient une partie des clés de ce monde : « se sentir responsable de la société et la comprendre »[43]. Construire la société qui va avec le modèle théorique de la République, comme le disait Emile Durkheim à Jean Jaurès, et ce, par l’invention de nouvelles institutions, de nouvelles solidarités et amitiés porteuses.
Si la vie sociale consiste en une tension difficilement surmontable entre grandeurs incompatibles, se pose sans cesse la question de la justice distributive. Une justice qui traite de façon semblable des cas semblables. Or, ce que nous disent les recherches interculturelles, c’est qu’il existe une pluralité de formes d’équivalence qui permettent de rapprocher, sous un certain rapport, les personnes et les choses, et de faire entre elles un ordre. Ces principes ne sont pas infinis, ni contingents, ni universels mais situés[44].
L’interculturalisme porte en lui la recherche d’une grammaire stable de correspondances, sinon d’universaux, du moins de champs d’équivalence quand il s’agit de s’organiser pour produire, sanctionner les actes délictueux ou récompenser les bonnes conduites touchant à l’efficience. Des manières de juger d’être petit ou grand selon les situations[45].
L’horizon de l’interculturalisme revient donc à se demander comment sont constituées dans le système politique qui est celui de toute entreprise, la « relation des parties au tout » pour reprendre l’expression de Louis Dumont[46]. Cet horizon revient, pour chacun, à peser « ce qu’il sera ou non possible de faire valoir en public, du genre d’arguments et de preuves qui pourront être apportées, de ce qui paraîtra acceptable ou inacceptable, normal ou anormal, licite ou scandaleux »[47].
Comment agir donc au travail chaque fois sans faire le détour appauvrissant de la règle générale, de justesse peut-être plutôt que de justice ?[48]
Martine Abdallah-Preitceille souligne que « ce ne sont pas les actes qui fondent l’éthique, mais au contraire, l’accord sur les valeurs qui fondent la validité des actes, accord qui repose sur l’élaboration d’un consensus élaboré dans la communication (Jürgen Habermas, 1983) et dans la discussion (Karl-Otto Apel, 1988). Seul un consensus conflictuel, c’est à dire de délibération qui s’enracine dans la pluralité des visées et des points de vue, peut fonder une société démocratique »[49].
En contexte multiculturel, l’éthique se fonderait alors sur un paradoxe : en s’apercevant que je ne suis pas l’égal d’autrui, je dois être infiniment plus exigeant à l’égard de moi-même qu’à l’égard des autres[50]. Cette autre façon de voir l'Autre est précisément ce qui fonde toute relation, et en délimite son identité car « le trouble devant l'Autre précède, en effet, les idées que nous nous en faisons. Vraies ou fausses, louangeuses ou malveillantes, ces idées naissent peut-être toutes d'un même désir : échapper à notre mise en question originelle »[51]. La relation est un porter à, incluant de facto l'Autre dans le fait même d'être lié à – re-lation. Derrière les représentations « imagologiques » à caractère collectif, c’est le fait de prendre progressivement conscience des limites de la compréhension de l’autre, des béances liées à nos capacités, qui est une des conditions essentielles de l’échange. Avant d’être un « frère », l’Autre est d’abord un être d’habitudes étranges, peu familières[52].
Une des leçons si utiles des travaux de Erving Goffman est de prendre le problème de la reconnaissance à l’envers, de l’envisager comme étant une sorte de réalité positive qui résulte en creux de l’expérience du stigmate. C’est dans le stigmate et l’expérience de la dévalorisation, que des stratégies vont viser à pallier, réparer, mettre à distance… L’expérience négative constitue le cœur et le révélateur du parcours de reconnaissance des sujets. L’épreuve du mépris social compte autant que les sources motivationnelles positives telles que l’altruisme ou le respect.
Avec Erving Goffman, ce n’est pas le désir d’affirmer la supériorité de son désir de reconnaissance qui est le fondement de la lutte des hommes mais le désir plus secret d’échapper au mépris dans la présentation de soi. Une société juste permet à l’homme d’échapper au mépris.
Ce que poursuivra Norbert Alter avec deux ouvrages magnifiques : La force de la différence. Itinéraires de patrons atypiques et Sans classe, ni place. L'improbable histoire d'un garçon venu de nulle part.
L’intelligence interculturelle est cette ressource commune d’appréhender des équivalences plutôt que des principes normés, des cohérences et de communiquer à travers elle[53]. Ces équivalences ne sont pas symétriques. On s’en aperçoit quand on traduit des textes et des concepts étrangers et l’on peut dire que la culture commence là où le dictionnaire s’arrête et où le linguiste découvre le sens profond des mots »[54]. Le seul transcendantal à reconnaître est qu’il n’est rien du topos d’une culture qui ne soit pas intelligible, qu’il n’est pas de constructions culturelles d’un autre topos qui ne puisse entrer en « résonance » ensemble. « La solution, autrement dit, n’est pas dans le compromis, mais dans la compréhension »[55] constate François Jullien. Il évoque « ce support « essentiel » de toutes les déterminations, qui lui-même ne se rapporte à rien d’autre, mais à quoi tout le reste est rapporté, et à ce titre « d’accident » ; en quoi sont donc contenues – « inhérentes » - diverses propriétés et qualités »[56].
Le management, affirmons-le, est d’abord une affaire de personnes. « Agir sur le collectif pour libérer le destin individuel » telle est la formule de Renaud Sainsaulieu. Chacun, à son niveau, au moment où il a pris conscience de sa propre identité sociale, en relation avec d'autres, est capable d'inventer de la société et faire exister un héritage qui ne se réduit pas à des déterminismes « reçus ». La construction de société n'est possible qu'à partir du moment où les acteurs concernés peuvent pleinement assumer leurs identités et c'est à cela, pour Renaud Sainsaulieu, que doit contribuer le sociologue. La course du marathonien est la condition de la vitalité démocratique. Parce qu’il n’y a pas de grand soir en matière de transformation des organisations. Parce qu’il n’y a pas de modèles d’organisation « enfin parfaits »[57] sur lesquels s’aligner. La société comme ses entreprises, de toutes tailles, sont constamment « à faire et sans cesse refaire », comme l’a écrit Renaud Sainsaulieu.
Les travaux de Michel Sauquet et Martin Vielajus montrent que le management interculturel porte - en son sein – et c’est précisément une richesse - un obstacle à son développement médiatique et même à la pleine reconnaissance de son utilité dans le champ du travail, des entreprises et des organisations. Il ne peut se concevoir que dans l’humilité et a peu de prétention à l’affirmation définitive. Le management interculturel ne prend pas le pouvoir. Il ne dit pas comment faire. Il ne donne pas de recettes. Il ne prépare pas à agir avec des Japonais ou des Espagnols. Il éveille, étonne, questionne. Le management interculturel prépare à l’imprévu des rencontres.
Peut-il y avoir, dès lors, dans le registre du management une tentative de reconnaissance mutuelle symbolique, une générosité libérée des règles d’équivalence (don et contre-don) régissant des règles de justice ?
Oui, certainement, mais dans l’ordre des relations discrètes entre les personnes seulement. Pas des celui des organisations qui n’ont pas de mémoire. Seules les personnes peuvent se souvenir. En cela, le dialogue culturel est d’abord un dialogue entre des personnes (et, peut-être, à travers elles, un dialogue de leurs cultures), non un dialogue entre des cultures prises « bloc à bloc ». Le feu rouge a rarement conscience de son état d’agent régulateur des transports et de la circulation. Il semble que le management interculturel puisse viser l’égale attribution des droits mais pas l’égale distribution des biens qui reste l’apanage des personnes. Il y a là une influence importante du regard sociologique de Renaud Sainsaulieu qui est tout sauf positiviste et déterministe.
On sait aussi que la justice n’épuise pas la question de l’arrêt de la dispute ouverte et ré-ouverte par la violence et la vengeance et que c’est précisément pour cela que se pose la question d’agapè[58], seule affaire de personnes disposant d’une certaine autonomie. Les « moments de subjectivation » engageant dans un amour singulier vers une personne, qui n’est conditionné par la réciprocité et nous éloigne du calcul et même de la mesure, sont des moments propres aux individus devenus « sujets ».
Renaud Sainsaulieu a toujours été sensible à ces individus qui sortent d’un échange inégalitaire (marqué par la possibilité pour un seul des partenaires de se définir et l’autre pas) pour entrer dans d’autres stratégies discursives (négociation, controverse…). Pour Alain Touraine, la société interculturelle qui reste à construire « ne se caractérise pas par la coexistence de valeurs et de pratiques culturelles différentes ; encore moins par le métissage généralisé. C’est celle où le plus grand nombre possible de vies individuées se construisent, et parviennent à combiner, de manière chaque fois différente, ce qui les rassemble (la rationalité instrumentale) et ce qui les différencie (la vie du corps et de l’esprit, le projet et le souvenir) »[59].
La haine paraît quand la reconnaissance devient insupportable, écrivait Georges Bernanos. Avec l’héritage de Renaud Sainsaulieu, on discerne mieux en quoi le management interculturel porte, selon nous, une axiomatique de l’intérêt, une axiomatique de la tension entre force et justice organisationnelle, une axiomatique des échelles de grandeur sociale mais aussi une axiomatique de la reconnaissance, de la visée pour chacun de faire sens à ses propres yeux et à gagner l’estime des autres sur un marché où les demandes de gratitude surpassent régulièrement les offres[60].
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Le mot de reconnaissance est l’entrée et l’issue du labyrinthe des nobles voyageurs[61].
Annexe 1 : Un panorama intellectuel des recherches interculturelles en entreprise. Dans la continuité de l'héritage de Renaud Sainsaulieu.
La problématique « interculturelle », plus ambitieuse qu’une réalité « multiculturelle », traduit d’abord « une évolution collective de la pensée : l'humain découvre qu'il peut se situer aussi par rapport à d'autres cultures et plus seulement dans sa propre société »[62].
Nous entendons, pour notre part, l’interculturalisme comme une tentative consciente de « dépassement culturel » du risque de voir les différents groupes laissés au hasard, isolés ou pire, entrer en conflit. L'interculturalisme vise à échafauder « une relation convenablement régulée permettant d'accéder à un nouveau plan : celui d'une formation unitaire harmonieuse transcendant les différences sans les évacuer »[63].
Nos travaux communs avec Evalde Mutabazi et Jean-François Chanlat en management interculturel ont pu souligner certaines différences épistémologiques majeures entre trois courants de recherche[64], trois corpus théoriques que nous avons nommé ensemble « modèle des références nationales », « modèle des références sociétales » et « modèle émergent des références plurielles de l’identité culturelle » [65].
Nous les présentons ici en deux tableaux.
Renaud Sainsaulieu (1935-2002) fut une personnalité marquante de la sociologie française. Docteur d'État ès Lettres et Sciences Humaines et professeur des Universités à l'Institut d'études politiques de Paris. Il a dirigé au CNRS, le Centre d'Etudes Sociologiques et fondé le LSCI (Laboratoire de sociologie du changement des institutions). Il a présidé l'association internationale des sociologues de langue française.
[1] : Renaud Sainsaulieu, « Le travail est la plus importante machine à produire de l’identité sociale », Le Monde, 17 mai 1995.
[2] : Claudine Haroche et Eugène Enriquez, La face obscure des démocraties modernes, Erès, 2002.
[3] : À la Renaissance, on vénérait les « esprits universels ». On qualifiait de polymathes ces lettrés qui cumulaient les connaissances au carrefour des sciences et des arts, comme d’autres les livres dans une bibliothèque. « Combien de grands esprits étaient polymathes, comme Léonard de Vinci, Descartes, Copernic, Michel-Ange, artistes et scientifiques à la fois ? » lance Marielle Barbe, auteure de Profession Slasheur : cumuler les jobs est un métier d’avenir, Marabout, 2017. Aujourd’hui, dit-elle, on reproche souvent aux gens compétents de se « disperser », pourtant la plupart des humains ne sont pas faits d’un bloc.
[4] : Jacqueline Barus Michel et Eugène Enriquez, « Pouvoir », in Eugène Enriquez, André Lévy et Jacqueline Barus-Michel, Vocabulaire de psychosociologie, Erès, 1994, p. 471.
[5] : Eugène Enriquez, André Lévy et Jacqueline Barus-Michel, Vocabulaire de psychosociologie, Erès, 1994, p. 464.
[6] : Norbert Alter et Christian Dubonnet, Le manager et le sociologue. Correspondance à propos de l'évolution de France Télécom de 1978 à 1992, L’Harmattan, 1994, p. 229.
[7] : Philippe Pierre et Michel Sauquet, L’Archipel humain. Vivre la rencontre interculturelle, ECLM, 2022.
[8] : Eugène Enriquez, « Le travail, essence de l'homme ? Qu'est-ce que le travail ? », Nouvelle revue de psychosociologie, 2013/1 (n° 15), p. 253 à 272.
[9] : Michael Kearney, "The Local and the Global: The Anthropology of Globalization and Transnationalism", Annual Review of Anthropology, 24, 1995, p. 549.
[10] : Luc Ferry, L'invention de la vie de Bohème : 1830-1900, Cercle d'Art.
[11] : « La France du recours au statut d’auto-entrepreneur pour aider à finir les fins de mois, celle du hard discount, du Bon Coin, du quasi-troc, budget carburant en hausse, des vide-greniers, du recours massif au crédit à la consommation est également celle qui privilégie les routes secondaires, pratique les « cars Macron » ou Blablacar plutôt que le TGV » (Jérôme Fourquet et Jean-Laurent Cassely, La France sous nos yeux, Le Seuil, 2021, p. 228).
[12] : Avec son type de société bien particulier, marqué par la prédominance d’une économie touristique et immobilière, et, sur le plan sociologique, par la surreprésentation des catégories favorisées : retraités aisés, professions libérales, commerçants, petits patrons, et de plus en plus de cadres pratiquant le télétravail (Jérôme Fourquet et Jean-Laurent Cassely, La France sous nos yeux, Le Seuil, 2021, p. 374).
[13] : Cédric Dalmasso et Céline Mounier, « Renaud Sainsaulieu », Le mouvement démocratique aux frontières de l'entreprise, 2022, EMS, p. 14.
[14] : Marc Uhalde, Crise sociale et transformation des entreprises, L’Harmattan, 2016. Marc Uhalde a défendu une définition de l'intervention comme devant être « une médiation contributive critique ». Elle permet de mieux connaître les catégories qui nous font penser et agir. L'intervenant n'est plus un conseiller du prince à qui il explique le problème auquel il est confronté : il est un médiateur entre deux parties qui ne disposent pas des outils de la régulation conjointe.
[15] : Dominique Martin, Démocratie industrielle. La participation dans les entreprises, PUF, 1994 ; Dominique Martin, Participation et changement dans l’entreprise, L’Harmattan, 1990 ; Dominique Martin, Jean Luc Metzger et Philippe Pierre, Les métamorphoses du monde. Sociologie de la mondialisation, Editions du Seuil, 2003.
[16] : Eugène Enriquez, André Lévy et Jacqueline Barus-Michel, Vocabulaire de psychosociologie, Erès, 2002, p. 90.
[17] : Philippe-Robert Tanguy, « Le cas de l'APSE », Sociologies pratiques, 2014/3 (HS 1), p. 95 à 102.
[18] : Renaud Sainsaulieu, « Stratégies d'entreprise et communautés sociales de production », Revue économique, 1988, 39-1, pp. 155-174.
[19] : Yves Barel, Le bonheur, simple mode managériale ?, La Revue des Sciences de Gestion, 2019/3-4, n° 297-298, pp. 103-112.
[20] : « Eugène Enriquez », Communication et organisation [En ligne], 28 | 2006.
[21] : Béatrice Lalle, Production de la connaissance et de l'action en sciences de gestion. Le statut expérimenté de chercheur-acteur », Revue Française de Gestion, vol 30, n° 148, Janvier/février 2004.
[22] : « Eugène Enriquez », Communication et organisation [En ligne], 28 | 2006.
[23] : Florence Osty écrit : « Dans son récit biographique, Renaud Sainsaulieu évoque que l’expérience de la formation continue l’a « obligé à clarifier les concepts parce que les gens veulent s’en servir pour l’action et s’ils ne comprennent pas, ils s’en vont ». La dimension utilitariste de la sociologie est revendiquée, avec l’idée que « les concepts ne sont intéressants que quand ils sont utilisés par les gens pour éclairer leur pratique » (Bouilloux, 2009) » (« Trans-former par la sociologie de l’entreprise », Sociologies pratiques, 2021/HS1, Éditions Presses de Sciences Po, p. 37 à 49).
[24] : Denis Segrestin, « In mémoriam. Renaud Sainsaulieu », Revue Française de Sociologie, 43-4, 2022, p. 775-778.
[25] : Laurence Servel pointe cette opportunité d’affirmer la responsabilité sociale et environnementale de l’entreprise et un nouveau statut d’entreprise à mission qui a été défini pour les entreprises par le Rapport Notat-Sénart et la Loi dite PACTE, Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises, loi votée en première lecture par l’assemblée nationale le 9 octobre 2018. « Au cours de la période récente », écrit Laurence Servel, « le mouvement de la RSE (responsabilité sociale/sociétale de l’entreprise) s’est considérablement répandu en Europe et à travers le monde » (Capron, Quairel-Lanoizelée, 2015). Ce mouvement, qui renvoie à des normes, des discours, des croyances, des pratiques, amène incontestablement à re-questionner la place de l’entreprise dans la société, à interroger son rôle politique mais aussi à explorer les ressorts éthiques qui sous-tendent les capacités d’action. Le projet fondateur de la sociologie de l’entreprise consistant à comprendre les interactions entre entreprise et société, se trouve ainsi replacé au cœur de la pensée sociologique et, également, à nouveau légitimé » (Laurence Servel, Pour un nouveau retour sur l’entreprise comme catégorie pertinente de l’analyse sociologique, Sociologies pratiques, Éditions Presses de Sciences Po, 2021/HS1 (N° Hors-série), p. 9 à 23).
[26] : Pierre Ouellet, « Le lieu de l’autre. L’énonciation dans la poésie québécoise contemporaine », Le soi et l’autre, Les Presses de l’Université de Laval, 2003, p. 201.
[27] : Pierre Ouellet, « Le lieu de l’autre. L’énonciation dans la poésie québécoise contemporaine », Le soi et l’autre, Les Presses de l’Université de Laval, 2003, p. 203.
[28] : François Jullien, L’écart et l’entre. Ou comment penser l’altérité ?, FMSH, 2012.
[29] : Nous sommes sensibles à la distinction entre différences et écarts inspirée par François Jullien (« L’écart et l’entre. Ou comment penser l’altérité », Leçon inaugurale de la chaire sur l’altérité du Collège d’études mondiales, Fondation Maison des sciences de l’homme, février 2012). L’écart, observe ce dernier, « met en tension ce qu’il a séparé ». La différence ne produit rien, sinon une définition. Nous tenons la différence pour le produit d’une soustraction entre deux valeurs représentées par des chiffres, des volumes ou des objets matériels ou symboliques (tout comme ce qui sépare le prix de revient du prix de vente, ou comme la distance entre deux points dans l’espace…). L’interculturel se définit par une combinatoire prospère d’éléments qui interagissent et s’enrichissent de leurs apports spécifiques dans une dynamique positive de la reconnaissance et des apprentissages mutuels… Selon François Jullien, l’écart permet de découvrir un autre possible. Il trace l’horizon de ressources culturelles exploitables par chacune et chacun. La différence fige, l’écart fait germer et il est fécondité. L'écart, au lieu de ranger, « dérange » parce qu’il est promesse d’exploration, espoir d’une remontée à un embranchement au lieu de confirmer les conditions d’une séparation et donc d’un détachement. François Jullien observe qu’avec la différence « on est dans la distinction, la séparation, le rangement, la classification, la typologie, tandis qu’avec la notion d’écart, on est au contraire dans la distance, le dé-rangement, le maintien en tension, toujours fécond puisqu’il fait apparaître un entre, et que cet “entre” est actif ». « Mettre en tension, c’est à quoi l’écart doit d’opérer » (François Jullien, Il n’y a pas d’identité culturelle, L’Herne, 2016).
[30] François Jullien, De l’universel, de l’uniforme, du commun et du dialogue entre les cultures, Fayard, 2008, p. 229.
[31] : Matthieu De Nanteuil et Aurélie Cnop, « Penser la justice dans les organisations : de Weber à Walzer », Travailler, 2006, p. 183-202.
[32] : Danilo Martuccelli, « Les contradictions politiques du multiculturalisme », Une société fragmentée ? Le multiculturalisme en débat, Editions La Découverte, 1997, p. 82.
[34] : « Eugène Enriquez », Communication et organisation [En ligne], 28 | 2006.
[35] : « Eugène Enriquez », Communication et organisation [En ligne], 28 | 2006.
[36] : Marcel Mauss, « Essai sur le don. Forme et raison de l'échange dans les sociétés archaïques », in : Année sociologique, 1923-1924.
[37] : « Eugène Enriquez », Communication et organisation [En ligne], 28 | 2006.
[38] : Entretien avec Eugène Enriquez, « L’intervention pour imaginer autrement », Education Permanente, n° 113, 1992, p. 25.
[39] : Hubert Marchal, L’identité en question, Ellipses, 2006, p. 42.
[40] : Norbert Alter et Christian Dubonnet, Le manager et le sociologue : Correspondance à propos de l'évolution de France Télécom de 1978 à 1992, L'Harmattan, 1994.
[41] : Marian Kinget et Carl Rogers, « Théorie et recherche », Psychothérapie et relations humaines, 1962.
[42] : Tout travail de décodage des enjeux conscients et inconscients des relations de pouvoir, des différences culturelles et identitaires, toute tentative de compréhension du social de « l’intérieur », à la source de la subjectivité des acteurs, est long, difficile et les dirigeants, le plus souvent, le comprennent mal et obligent ceux qui la défendent à certaines formes de clandestinité, voire d’isolement en organisation. S’amplifie le conformisme comme critère principal de promotion (Olivier Babeau et Jean-François Chanlat, « La transgression, une dimension oubliée de l'organisation », Revue française de gestion, 2008/3, n° 183).
[43] : Renaud Sainsaulieu, « Avant-propos », Débats Jeunesses, 1996, 1, pp. 7-9.
[44] : Luc Boltanski, « Dissémination ou abandon : la dispute entre amour et justice. L’hypothèse d’une pluralité des régimes d’action », in Paul Ladrière, Patrick Pharo et Louis Queré, La théorie de l’action. Le sujet pratique en débat, CNRS, 1993.
[45] : Philippe D’Iribarne, La logique de l’honneur, 1989, Le Seuil.
[46] : Louis Dumont, Homo aequalis, Gallimard, 1977.
[47] : Luc Boltanski, L’amour et la justice comme compétences, Métailié, 1990, p. 30.
[48] : Paul Ricoeur, Parcours de la reconnaissance, Stock, 2004, p. 327.
[49] : Martine Abdallah-Preitceille, L’éducation interculturelle, PUF, 1999, p. 69.
[50] : Emmanuel Lévinas, Difficile liberté. Essais sur le Judaïsme, A. Michel, 1963, p. 24-41.
[51] : Alain Finkielkraut, La sagesse de l'amour, Gallimard, 1984, p. 38.
[52] : Pascal Dibie et Christophe Wulf, Ethnosociologie des échanges interculturels, Anthropos, 1998, Introduction, p. VI.
[53] : François Jullien, De l’universel, de l’uniforme, du commun et du dialogue entre les cultures, Fayard, 2008, p. 217.
[54] : Christopher J. Moore, Les plus jolis mots du monde, A. Michel, 2006, cité par Edith Sizoo, Responsabilités et cultures du monde, Editions Léopold Charles Meyer, 2008, p. 22.
[55] : François Jullien, De l’universel, de l’uniforme, du commun et du dialogue entre les cultures, Fayard, 2008, p. 220.
[56] : François Jullien, De l’universel, de l’uniforme, du commun et du dialogue entre les cultures, Fayard, 2008, p. 223.
[57] : « Cercles de qualité, organisations matricielles et autres pyramides inversées représentent pour le sociologue l'occasion de montrer le caractère étroitement rationnel de ces formes, leur écart par rapport au jeu des acteurs qui produisent l'organisation et le fait que les retenir s'apparente plus à une volonté de changer de forme sans changer de logique » (Norbert Alter et Christian Dubonnet, Le manager et le sociologue : Correspondance à propos de l'évolution de France Télécom de 1978 à 1992, L'Harmattan, 1994).
[58] : Luc Boltanski, L’amour et la justice comme compétences, Métaillé, 1990.
[59] : Alain Touraine, Pourrons-nous vivre ensemble ?, Fayard, 1997, p. 303.
[60] : Jean Claude Kaufmann, L’invention de soi. Une théorie de l’identité, Armand Colin, 2004, p 190.
[61] : Adapté de Oscar Vladislas de Lubicz Milosz.
[62] : Marc Bosche, Le management interculturel, Armand Nathan, 1994, p. 163.
[63] : Carmel Camilleri, "La communication dans la perspective interculturelle", Chocs de cultures, L'Harmattan, 1989, p. 389.
[64] : Par courant, nous cernons, au risque de la caricature et du choix personnel, une même sensibilité réunissant des auteurs singuliers dont les objets et les méthodes diffèrent souvent dans le détail mais qui se réfèrent à un cadre théorique partagé, à une manière commune d’approcher le réel et de lui donner un faisceau d’interprétations problématisées…
[65] : Jean-François Chanlat et Philippe Pierre, Management interculturel. Evolution, tendances et critiques, EMS, 2018. A la toute fin de cet ouvrage, nous proposons 50 définitions « en kaléidoscope » du management interculturel.
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