Geneviève Lhermitte demande sa libération conditionnelle
Un livre 10 ans après pour tenter de comprendre l'inexcusable ...
Le 19 décembre 2008, elle a été condamnée par la cour d’assises de Nivelles à la réclusion criminelle à perpétuité pour avoir égorgé ses cinq enfants. Le 17 janvier dernier, elle a introduit une première demande de libération conditionnelle.
Mercredi 28 février 2007. Alors que son mari, Bouchaib Moqadem, doit rentrer d’un voyage au Maroc un peu plus tard dans la journée, Geneviève Lhermitte, mère au foyer discrète et sans passé judiciaire, bascule dans l’horreur. Après avoir subtilisé deux couteaux de boucher dans une grande surface, elle va froidement assassiner ses cinq enfants : Yasmine (14), Nora (12), Myriam (9), Mina (8) et Medhi (4). Ils sont sagement installés devant la télévision. Elle les appelle un à un à l’étage de la maison pour leur trancher la gorge et tente ensuite de mettre fin à ses jours. Volontairement ou non, elle se rate et prend conscience qu’elle vient de commettre l’impensable. Elle appelle le 100 et avoue : « J’ai fait quelque chose de très grave, j’ai tué mes enfants. J’ai voulu me suicider, mais je n’y arrive pas, je veux mourir. » La barbarie qui règne dans la maison est de l’ordre de l’inimaginable lorsque les services de police descendent sur les lieux. Bizarrement, Geneviève Lhermitte a pris soin de déposer chacun de ses enfants sur son lit, comme s’ils dormaient, entourés de leurs peluches préférées. À 15h45, le jour même, elle est privée de liberté. Le 25 avril 2007, lors de la reconstitution, elle lancera aux enquêteurs : « Je pense tout le temps à mes enfants, je me rends compte de l’abomination que j’ai commise et de la cruauté dont j’ai fait preuve. » L’opinion publique est secouée, c’est l’enfance qui est touchée. En 2012, l’histoire de la mère infanticide inspirera à Joachim Lafosse le scénario d’un film, « À perdre la raison », avec Émilie Dequenne dans le rôle principal. L’adaptation sur grand écran par le réalisateur est controversée. Le docteur Michel Schaar, qui vivait avec le couple Lhermitte-Moqadem, y est présenté comme le responsable principal de ce drame.
Une descente aux enfers
J, U et D – pour « Judas » ? –, ce message écrit en lettres de sang sur le miroir de la salle de bain était-il destiné à Michel Schaar ? Geneviève Lhermitte ne s’en expliquera jamais clairement. Mais dès le début de l’instruction, elle va insinuer que l’omniprésence du docteur a été l’élément déclencheur. Des allégations qu’il réfutera : « Je n’ai jamais perçu que je pouvais être envahissant dans ce foyer. J’ai demandé à plusieurs reprises si m’a présence gênait. On m’a toujours répondu que non. Ce ne sont que des élucubrations. » Ces insinuations vont toutefois exposer le Dr Schaar à une tourmente médiatique. Courriers anonymes cinglants, insultes sur la voie publique, son image est mise au pilori. Quelques mois après les faits, un soir de juin, il décide d’en finir. « J’ai pris mon véhicule et je me suis rendu à la terminaison de l’autoroute Uccle/Drogenbos. Je me suis garé sur l’aire de repos adjacente et j’ai commencé à marcher le long de la berme latérale. Je regardais passer le flot de voitures qui défilait. Ma seule idée : me jeter sous l’une d’elles. » L’homme ne devra son salut qu’à ses avocats qu’il appellera dans un dernier instinct de survie. « Dans le quart d’heure, ils étaient là. Nous sommes allés boire un verre. Je voyais tout en noir, mais nous avons parlé. Ils m’ont dit que me supprimer ne servirait à rien. » Cette soirée aura permis au Dr Schaar de remettre le pied à l’étrier, même s’il fait toujours aujourd’hui l’objet d’invectives. « En 2014, j’ai reçu un appel anonyme sur mon portable. La personne, une femme, que je pense avoir reconnue d’ailleurs, m’a laissé un message de menaces. J’ai directement porté plainte à la police. Et depuis, les dépôts dans ma boîte aux lettres, dont je vous passe la substance, et les envois malsains ont repris. C’est bien simple, j’ai dû la condamner et faire dévier mon courrier. »
Des échanges épistolaires soutenus
Durant tout le procès, Bouchaib Moqadem va donner de lui une image de père digne, écharpe blanche autour du cou en symbole. Mais pour éviter de sombrer dans la folie, il va rapidement répondre favorablement à la demande de Geneviève Lhermitte qui sollicitera, dès son incarcération, son soutien. Il ira la voir à de nombreuses reprises, ils se téléphoneront souvent et entretiendront une correspondance épistolaire soutenue : « Chère Geneviève, Salam, (…) je ne suis pas juge de ce qui est arrivé (…) je suis toujours dans l’incompréhension totale (…) j’ai l’impression que je suis encore dans le vol Agadir/Bruxelles et que l’avion n’a pas atterri (…) je suis dans les nuages, je vis dans le ciel avec mes enfants (…) c’est eux qui me guident et puis la force de Dieu (…) je te demande de l’humilité, de la sincérité, de la vérité (…) cette vérité, ce besoin de savoir qui brûle mes yeux parce que je suis un homme vide et parce que mes questions sont sans réponses (…) dire la vérité est le seul conseil que je peux te donner (…). » Bouchaib Moqadem ne recevra toutefois aucune explication satisfaisante en retour et Geneviève Lhermitte arrêtera définitivement de lui écrire à la première date anniversaire de l’assassinat des enfants.
« Youssra nous apaise »
Bouchaib Moqadem sera fortement soutenu dans l’épreuve par la communauté musulmane de Belgique. Asmae Beldie, docteur en droit islamique, fait également partie de ce groupe de soutien. Il la rencontre lors d’une émission sur Radio Al Manar. Ils se marient le samedi 13 février 2010 à la maison communale d’Etterbeek. De leur union va naître une petite fille, Youssra, qui a eu 5 ans le 11 février dernier. Fait troublant, l’enfant ressemble comme deux gouttes d’eau à Yasmine, la fille aînée de Geneviève Lhermitte et Bouchaib Moqadem. « Elle nous apaise. C’est un peu comme si les enfants étaient revenus parmi nous », nous précise le Dr Schaar. Mais on ne remplace pas un enfant, et encore moins cinq. Et malgré ce nouveau bonheur, Bouchaib Moqadem est toujours en invalidité pour dépression chronique. Son besoin vital : passer le plus clair de son temps au cimetière des Martyrs, à Ben Sergao, une bourgade au sud d’Agadir, où sont enterrés les enfants. Cette année, pour les dix ans de leur disparition, le 28 février prochain sera une date de commémoration plus spéciale. Le père meurtri entend faire un don à « Nos anges », un orphelinat de la région.
« J’ai revu Geneviève Lhermitte »
Michel Schaar, quant à lui, a revu pour la première fois Geneviève Lhermitte le mardi 17 janvier dernier, à huis clos, devant le tribunal d’application des peines. Invité en tant que partie civile à s’exprimer sur les conditions d’une éventuelle sortie, il a demandé que soient imposées une mesure d’éloignement et l’obligation de poursuivre une thérapie. « Lorsque je l’ai vue entrer dans la pièce, j’ai fait un bond en arrière. Malgré le fait de m’être préparé à cet instant, c’était plus fort que moi. J’avais demandé la présence d’une assistante sociale du service d’aide aux victimes. Elle a vu mon désarroi et m’a serré la main. C’était insoutenable. Geneviève Lhermitte se tenait à 3 mètres de moi, l’expression vide. J’ai essayé à plusieurs reprises de croiser son regard, sans succès. Elle ne m’a pas regardé un seul instant… »
Prison ferme ou internement ?
Les experts psychiatres, mandatés dans le cadre de l’instruction, avaient constaté à l’époque que Geneviève Lhermitte était dans un état tel de désespoir depuis des semaines que « dans ce basculement, sa seule solution pour mettre un terme à son niveau de stress aigu était le passage à l’acte et la mort. » Malgré ce diagnostic posé « d’absence de discernement », elle est reconnue par les jurés, après deux semaines de procès, coupable et est condamnée. Maître Alexis Deswaef, président de la Ligue des droits de l’homme, nous précise : « L’opinion publique a besoin d’un coupable et d’une sanction. Mais si le jury d’assises s’est écarté de l’avis du collège d’experts qui invoquait son irresponsabilité, les magistrats européens, des professionnels, auraient dû à tout le moins reconnaître qu’elle n’avait pas eu en ce sens un procès équitable. Simplement parce que si elle est malade, elle n’a rien à faire en prison. » Et pourtant, le 29 mars 2016, la Cour européenne des droits de l’homme rejette la demande de Geneviève Lhermitte contre l’État belge. Quoi qu’en disent les experts, elle était bien responsable de ses actes. « Personnellement, je ne suis pas sûr que la prison ait été bénéfique dix ans après. Un internement, avec un véritable suivi médical et psychologique, aurait sans doute été plus approprié. D’un autre côté, aurait-elle été mieux internée lorsque l’on sait que les soins apportés dans les établissements belges sont aujourd’hui insuffisants ? Je n’en suis pas certain. »
Un livre pour comprendre, 10 ans après
"L’affaire Lhermitte, chronique d’un drame annoncé", éd. Renaissance du Livre, 142 p., 16 euros - Par Benoît Franchimont
Alessandra d’Angelo, journaliste d’investigation, ressort marquée par l’écriture de son dernier livre sur le quintuple infanticide de Nivelles (*). « En tant que femme et mère, il n’a pas été évident de me plonger dans cette affaire, en faisant fi de tout l’émotionnel qui vous submerge. Et le moment le plus dur a été sans conteste celui de l’analyse des photos d’autopsie des enfants. Mais je me suis astreinte à prendre le recul nécessaire pour essayer de comprendre ce qui s’était passé voici 10 ans. Et j’ai tenu à éplucher les 1.900 pages du dossier », nous raconte-t-elle. À l’origine du livre, une rencontre avec le Dr Michel Schaar, figure centrale de l’affaire, père adoptif du mari de Geneviève Lhermitte, Bouchaib Moqadem. « Il m’a contactée, m’amenant ses notes, sa vision de l’affaire. Il était toujours dans la rancœur et la colère. Je lui ai proposé de faire ce livre, mais à ma façon, en me replongeant au cœur des méandres de cette famille aux relations complexes, marquée par un cruel manque de communication. Ce livre, il l’a lu. Il n’est sans doute pas d’accord avec tout ce qui est écrit mais il m’a dit qu’il se sentait apaisé, que le livre remettait l’église au milieu du village. » Le Dr Schaar se sent-il coupable, alors que Geneviève Lhermitte a raconté au procès qu’il prenait une part envahissante dans son couple ? « Coupable, certainement pas ! Et il ne comprend toujours pas. En fait, personne n’est responsable. Il n’y a que des victimes dans cette affaire et des dommages collatéraux, le tout construit sur une lourde chape de non-dits. Le Dr Schaar, qui n’a pas pu avoir d’enfants, était tout content d’avoir une famille et Bouchaib Moqadem n’a pas vu, quant à lui, la souffrance de sa femme au quotidien. Quant à Genevièvre Lhermitte, elle se s’est jamais vraiment plainte ni de la présence du docteur ni de cette situation qui lui pesait, sauf les toutes dernières semaines avant le drame. »
Desperate housewife
La journaliste a surtout cherché à comprendre pourquoi Geneviève Lhermitte avait égorgé ses cinq enfants entre 3 et 14 ans : « Comment peut-on donner la vie et la reprendre ? La thèse du suicide altruiste est celle qui a été présentée par les experts psychiatres. Cette mère au foyer au bout du rouleau, complètement dépassée et dépressive, a choisi de mettre fin à ses jours en emportant avec elle les gens qu’elle aimait le plus, pour les protéger d’un monde qui lui apparaissait hostile. Le cas Lhermitte n’est pas unique. Savez-vous, par exemple, que l’auteur de la série « Desperate Housewives » s’est inspiré d’un fait divers bien réel ? Dans un suicide altruiste, une mère de famille américaine a noyé ses cinq enfants dans la baignoire familiale. On recense 5 à 8 infanticides par an du même type, en Belgique comme en France. Ce sont le plus souvent des femmes au foyer isolées socialement qui commettent ces actes extrêmes. »
Pour Alessandra d’Angelo, les crimes de Nivelles étaient « annoncés » et auraient pu être empêchés. « On aurait pu éviter le drame. Elle a tiré de nombreuses sonnettes d’alarme. Geneviève Lhermitte est en thérapie depuis ses 14 ans. Elle a essayé de se défenestrer à 18. Après une agression à l’arme par un élève dans l’école où elle enseignait, elle a été mise en congé de maladie de longue durée. Elle était sous médication lourde depuis des années, avec suivi psychologique. Dans ce parcours de vie, il y a eu une succession d’appels au secours qui n’ont pas été entendus. Je parle de « non-écoute à personne en danger » ! Quinze jours avant de tuer ses enfants, elle écrivait des lettres à son psychiatre dans lesquelles elle racontait qu’elle allait voir les couteaux dans les supermarchés et qu’elle voulait « partir » avec ses enfants. Le psychiatre aurait dû la faire interner sur-le-champ. Il a expliqué au procès qu’il n’avait rien fait car il craignait qu’il n’y ait pas de solution pour faire garder les enfants… Professionnellement, c’est une abstention coupable ! »
Geneviève Lhermitte est toujours actuellement détenue à la prison de Berkendael (Forest), où elle s’est remariée. « Elle a connu deux histoires d’amour en prison, en correspondant avec d’anciens détenus. Le premier homme avait égorgé sa femme. Il s’est suicidé quelque temps après être sorti de prison. Geneviève Lhermitte en a été très affectée. Ensuite, elle a correspondu avec un autre ancien détenu, père de cinq enfants, qui est devenu son mari. Là aussi, je me suis demandé pourquoi cette attirance ? Quand vous cherchez des réponses à votre agir criminel, il est peut-être plus facile, par effet miroir, d’aller les chercher chez des personnes qui vous ressemblent, qui ont « agi » aussi un jour. »