IFI: IMMEUBLES DONNES EN LOCATION

En matière de location, comment distinguer ce qui relève de la gestion immobilière de ce qui ressortit à l'activité commerciale.

L’article 31 de la loi de finances pour 2018 qui substitue l’impôt sur la fortune immobilière (IFI) à l’ISF, est d’une grande complexité. La conception verticale de ce nouvel impôt en est la principale cause. Il en résulte que certaines de nouvelles dispositions régissant cet impôt sont difficiles à interpréter. Tel est le cas, à notre avis, du régime applicable (exonération ou non) à celles des locations d’immeubles qui sont qualifiées jusqu’à présent de commerciales par nature (article 34 du CGI) ou par détermination de la loi (article 35 du CGI).

A première lecture, la solution paraît claire. Le nouvel article 965 du CGI exclut du champ de l’IFI les biens et droits immobiliers que la société affecte à son activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale (ICAAL). L’article 966 dispose que n’est pas considérée comme une activité ICAAL, l’exercice par une société de la gestion de son propre patrimoine immobilier. Dès lors l’immeuble affecté par la société propriétaire a son activité ICAAL, n’est pas soumis à l’IFI, tandis que l’immeuble loué par la société propriétaire à une société qui y exercera son activité ICAAL, est soumis à l’IFI.

Toutefois il existe deux zones grises. L’article 966 indique que sont considérées comme des activités commerciales les activités mentionnées aux articles 34 et 35 du CGI, à l’exception de celles consistant dans la gestion de son propre patrimoine immobilier. L’article 35-I du CGI qualifie de commerciale d’une part la location meublée (5° bis), et d’autre part la location d’un établissement commercial ou industriel muni du mobilier ou du matériel nécessaire à son exploitation (5°). Pour la location meublée, on peut affirmer, contrairement aux premiers commentaires, que l’administration estime, sans doute fidèle à l’esprit de la loi, que les biens donnés en location meublée par une société soumise à l’IS entrent dans l’assiette de l’IFI, puisque l’article 975-V ne regarde les locaux d’habitation loués meublés comme un actif affecté à l’activité professionnelle du redevable que si le redevable remplit les conditions pour être regardé comme un loueur en meublé professionnel, notamment celle selon laquelle le loueur doit retirer de cette activité plus de 50% des revenus de son foyer fiscal. A l’inverse, l’activité de location d’un établissement commercial ou industriel muni du mobilier ou du matériel nécessaire à son exploitation est bien une activité commerciale puisque l’article 975-V considère que dans ce cas les actifs immobiliers  sont affectés à l’activité professionnelle du redevable. Néanmoins, il subsiste une hésitation quant à l’interprétation du 5° de l’article 35, I du CGI, dans la mesure où le Conseil d’Etat a récemment assoupli son interprétation de ces dispositions en élargissant leur champ (CE 26 décembre 2013 n°360124, SCI ROSTAND, concl. B. Bohnert). Désormais, le Conseil d’Etat renonce à compter les petites cuillères, préférant donner du 5° une interprétation plus économique et plus fonctionnelle. Mais cette évolution jurisprudentielle n’a pas pour le moment d’équivalent dans le jurisprudence, à vrai dire peu fournie, de la Cour de cassation, juge naturel de l’IFI.

Seconde zone grise, celle de l’article 34 du CGI qui définit les activités commerciale par nature. Le Conseil d’Etat considère traditionnellement, nous avons conclu autrefois sur ce type d’affaires, que les locations qui associent le bailleur aux résultats du preneur, caractérisent une activité commerciale par nature au sens de l’article 34 du CGI (CE 11 décembre 2009 n°301504, SCI Aristide Briand). On voit bien l’inspiration de cette jurisprudence qui participe du même esprit que le régime fiscal de la location-gérance. Ce type de location ne constitue pas une simple gestion de son patrimoine immobilier par le bailleur puisqu’il fait participer celui-ci aux risques de l’exploitation du preneur. Nous ignorons la façon dont l’administration interprétera ce type de location pour l’IFI. Signalons que cette jurisprudence n’a pas, pour le moment, d’équivalent dans la jurisprudence de la Cour de cassation.

On voit bien que l’interprétation de ces textes pourrait être sensiblement différente selon qu’elle incombera au Conseil d’Etat ou à la Cour de cassation. Le Conseil d’Etat sera probablement saisi le premier par la voie du recours pour excès de pouvoir dirigé contre la doctrine de l’administration. Ces recours lui permettront de préciser son interprétation de l’article 35-I-5° et de l’article 34 du CGI au regard de l’IFI. S’il devait estimer que le régime d’exonération applicable aux locations d’établissements commerciaux ou industriels munis du mobilier et du matériel nécessaire à son exploitation au sens de l’article 35-I-5 ne vaut pas pour les locations associant le bailleur aux résultats du preneur au sens de l’article 34 du CGI, cette distinction pourrait justifier la transmission d’une question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel, fondée sur la méconnaissance du principe d’égalité devant les charges publiques : la distinction opérée repose-t-elle sur des critères objectifs et rationnels ?

Il faudra attendre quelque temps pour y voir définitivement plus clair. 

OLIVIER FOUQUET

Benoît BERCHEBRU

Place à la pédagogie juridique, fiscale et patrimoniale - Directeur de l'ingénierie patrimoniale et fiscale groupe DLPK.

6 ans

Merci pour cette analyse très juste et précise. Et comme le précise à juste Nikolaj dans son commentaire, plus la structuration des sociétés de groupe est complexe , et plus la questionnement est important. Espérons que des précisions soient rapidement apportées pour nous permettre d accompagner aux mieux nos clients. À suivre donc . Bonne journée

Nikolaj Milbradt

Avocat Associé - COFFRA GROUP - SOFFAL | Fiscalité des entreprises

6 ans

Très intéressant ! D'autres zones grises et donc discussions sont à prévoir au sujet de l'immobilier donné en location à une autre société du groupe ou contrôlée par le redevable - à suivre !

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