⏱️ Intensifier les usages de nos villes

⏱️ Intensifier les usages de nos villes

Entre décarbonation, adaptation à un climat qui change, réduction de l’empreinte en matériaux et déchets, limitation de l’étalement urbain et la nécessaire réponse aux besoins d’une société qui évolue rapidement, les enjeux qui percutent aujourd’hui la fabrique de la ville se multiplient. Les fondamentaux du modèle économique de ce secteur d’activité essentiel pour le pays sont désormais questionnés. Mais il est une évidence : la réponse à chaque nouveau besoin ne peut plus passer par la construction systématique d’un bâtiment neuf.

Non, décidément, quelque chose ne tourne pas rond. C’est pour clarifier les priorités à donner dans les nécessaires actions sur la ville que le concept d’urbanisme circulaire propose différentes boucles comme autant de réponses à nos besoins, chacune s’inscrivant dans son rythme propre. Les deux premières et plus petites boucles portent sur les bâtiments et s’expriment par l’intensification des usages ou la transformation de l’existant. On retrouve ici la chronotopie, le changement d’usages de bâtiments, mais aussi les constructions réversibles. Les deux boucles suivantes portent sur les sols urbains avec la densification et le recyclage des friches. La dernière évoque le nécessaire retour à des usages naturels ou agricoles de certains sols urbanisés, c’est-à-dire leur renaturation.

À chaque boucle « son pas de temps », et les articles proposés dans le dossier publié par Construction 21 se sont concentrés sur les plus rapides et les plus longues d’entre elles : l’intensification des usages et le recyclage des friches. Commençons donc par cette dernière, celle du cycle complet de la construction de la ville sur la ville. Quand la matière première de la fabrique urbaine qu’est le foncier se fait rare, même les sites complexes, comme les friches, deviennent dignes d’intérêt. C’est bien ce qui se passe en ce moment, en contrepoint de l’atterrissage territorial (compliqué) du ZAN : chacun cherche sa friche. Et si la question de la localisation de réserves de recyclage urbain n’est pas encore réglée, les potentiels sont aussi importants que dans la transformation de l’existant, et vont aller croissant avec l’obsolescence accélérée du parc tertiaire ou du stationnement.

Mais l’objectif et le cœur des participations à ce dossier est bel et bien de se concentrer sur la plus courte des boucles de l’urbanisme circulaire : l’intensification des usages. La question des temps, et singulièrement des plus courts, n’est pas nouvelle dans la pensée de la ville, mais elle fait jusqu’ici des apparitions régulières sans réellement marquer structurellement les pratiques. La dernière fut à l’occasion du déconfinement, avec le déploiement des emblématiques coronapistes dont le jaune symbolise le caractère éphémère, mais aussi le travail sur les horaires de travail pour désaturer les transports en commun. Aujourd’hui, face aux multiples crises qui questionnent les fondamentaux de la fabrique de la ville, ne faut-il pas enfin positionner définitivement le travail des temps au cœur de la fabrique urbaine ?

Travailler les temps courts peut prendre des formes très différentes, comme élargir les horaires d’utilisation de nos bâtiments, hybrider les usages d’un même lieu, ou mutualiser des espaces entre plusieurs utilisateurs. Les potentiels sont immenses et concernent nos rues comme nos espaces communs, nos bâtiments publics comme privés, l’existant comme ce qu’il nous reste à construire. C’est sans doute pour l’espace public que les choses sont les plus avancées. Entre la place qui accueille le marché tous les dimanches, les terrasses qui fleurissent au printemps à la place des voitures à l’arrêt, où les expérimentations de réorganisation de voies de circulation en fonction des horaires, les initiatives sont nombreuses. Mais beaucoup reste à faire tant les potentiels de l’urbanisme tactique sont importants pour accompagner les transformations par des aménagements provisoires.

L’intensification des usages des bâtiments existants est à la fois courante et finalement peu structurée. Or nos villes fourmillent de ces mètres carrés gaspillés plusieurs heures par jour. La caractérisation de la ressource par la quantification des usages n’est pas encore fréquente, même si certaines collectivités avancent vite sur ce registre, en identifiant les équipements publics qui peuvent accueillir de nouveaux usages à mètres carrés constants.

L’intensification de l’usage de bâtiments à construire est à l’évidence pleine de promesses, puisque les obstacles à celle-ci peuvent être évités dès la conception. La page blanche ouvre le champ des possibles avec une multitude d’outils dont il faut se saisir pour inciter propriétaires, promoteurs et bailleurs à se saisir de la question des temps : PLU, permis d’innover, permis double destination, cahier des charges. Mais sa mise en œuvre pose finalement des questions très différentes, en interrogeant les processus de programmation et de conception, en replaçant l’usager futur et son planning au cœur d’un dialogue où il est souvent absent. Et puis il y a aussi le temps long de la réversibilité, qui revient à programmer l’incertitude.

L’enjeu aujourd’hui est bien de provoquer une prise de conscience sur l’importance et les potentiels de cette question des temps auprès des faiseuses et des faiseurs de villes, mais aussi d’accompagner leur montée en compétence pour accélérer et massifier le passage à l’acte au-delà des quelques expérimentations qui éclosent ici et là. Car travailler les temps, c’est travailler les organisations, les règles, les habitudes. Autant de sujets finalement plus complexes que de construire des mètres carrés neufs monofonctionnels. Autant de sujets qui exigent pluridisciplinarité, coconstruction et adaptabilité.

Ce nouveau prisme de la fabrique de la ville ne se décrète pas : il nécessite un changement de paradigme de l’ensemble des acteurs. Des élus locaux en premier lieu, à qui il appartient aujourd’hui de proposer une vision renouvelée et exigeante de l’utilisation de nos espaces. Une vision qui les contraindra à retravailler, parcelle par parcelle, l’usage de nos espaces au rythme des temps. Et pour cela résoudre la difficile équation de la mixité fonctionnelle, dont l’humain est au cœur. Écouter les usagers, faire dialoguer les acteurs d’un territoire. Nos édiles – comme certains ont commencé à le faire – peuvent montrer l’exemple avec nos bâtiments publics ; les citoyens, se saisir de cette réalité et ne plus accepter de cacher ce gaspillage qu’on ne saurait voir.

Les différentes participations à ce dossier le montrent bien, non seulement le travail des temps est possible, mais il recèle une multitude de potentiels. Reste à en faire le quotidien de la fabrique de la ville, car c’est encore loin d’être le cas. La tâche est rude mais le jeu en vaut la chandelle.

— Eléonore Slama (Linkedin) & Sylvain Grisot (Twitter / Linkedin)

Découvrir le dossier sur Construction 21


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📅 Le 14 juin à Paris, causeries urbaines à la librairie du Genre Urbain sur les data centers avec Cécile Diguet & Fanny Lopez. Et aussi une conférence le 21 juin, à Paris et en ligne, dans le cadre du festival Building Beyond : "Bureaux le jour, logements la nuit : peut-on intensifier les usages du bâti ?", animé par Marie-Douce Albert avec Franck Boutté, Céline Crestin et Sylvain. 

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🍳Ville malléable. Se dit d’une ville capable de retrouver sa forme dans le temps et dans l’espace, capable de fonctionner malgré les crises sans jamais se rompre. Un court article qui revient sur des exemples de ce que peut être ce genre de ville à travers le monde, mais aussi sur les différentes philosophies associées à la malléabilité. En effet, c’est idée riche qui puise dans l’univers de la résilience, peut aussi questionner la volonté, consciente ou non, de conserver un système urbain pourtant à bout de souffle sur de nombreux sujets sociaux et environnementaux. (Leonard)

📖 La vie matérielle, mode d’emploi, de David Enon (Carnets parallèles, 2021). C’est un de ces petits livres à glisser dans toutes les poches. Celui-là est d’autant plus utile qu’il a une règle graduée sur le bord de sa couverture. A glisser notamment entre les mains d’étudiant·es designer, architectes, mais aussi les autres, bricoleur·ses du dimanche. C’est court et ludique, on passe un bon moment à questionner davantage la matérialité qui nous entoure, partout. On ressort avec l’envie d’utiliser nos mains, de les sentir davantag, un peu comme dans lEloge du carburateur, de Matthew B.Crawford.

C’est bien plus tard, lorsqu’on se retrouve à bricoler, qu’on intègre et éprouve physiquement les théorèmes de Pythagore et Thalès ; on pourrait alors presque se prendre au jeu de la trigonométrie. Comme si ces principes n’avaient jusqu’alors existé que hors-sol et qu’ils prenaient tout leur sens en passant du champ du savoir à celui du faire.
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