4/9 - La pensée – Le rapport au langage

4/9 - La pensée – Le rapport au langage

Les mots, vecteurs perfectibles de la pensée

Même un simple mot peut revêtir différentes significations. Chacun interprète les mots selon son éducation, son expérience de vie, laissant alors libre cours à ses propres émotions. Là où cela se complique, c’est quand l’agencement des mots évoque une situation, un fait. Par essence, la combinaison des mots, faisant des phrases, complexifie exponentiellement le rendu et l’impact sur l’autre.

Or, l’enjeu de la pensée, n’est-il pas de transmettre, de partager, d’apprendre des autres, puis sur soi ? Le langage permet de transmettre une information, une émotion, dans un but de dialogue et de partage. Le schéma de la communication est connu et décrit un émetteur, un récepteur et un vecteur de l’information, alors codifiée en mots, en langage. A y voir de plus près, de multiples filtres troublent le schéma de la communication. L’émetteur peut, lors de la formalisation de son message, ressentir des émotions qui viendront interférer. S’il ressent la colère, il pourra délivrer des mots apaisants, le récepteur ne percevra que la violence et ne s’attachera finalement pas aux mots délivrés et leur signification. En outre, il en est de même pour le récepteur. Si son émotion le submerge, il est fort probable qu’il ne soit pas en mesure d’écouter et de comprendre. Le précédent article de cette série vient démontrer tout l’enjeu du champ émotionnel.

Le contexte du propos aussi joue à plein. Des mots n’auront pas la même portée selon le contexte dans lequel ils sont émis. L’histoire regorge de mots qui ont vu leur signification évoluer, en bien ou en mal. Souvent, la recherche du sensationnel vise à ne prendre qu’une partie d’une phrase pour pointer du doigt une formulation devenue malheureuse sans son contexte, alors que la perception d’ensemble viendrait démontrer tout l’inverse.

Les réseaux sociaux, ersatz frénétique de dialogue

L’appauvrissement du langage, encouragé par les réseaux sociaux et des messages tronqués, empêche toute nuance dans le dialogue. Les mots en viennent à être utilisés pour d’autres raisons pour lesquelles ils ont été créés ! Certains diront qu’il faut se mettre au niveau de l’interlocuteur pour pouvoir communiquer. Cela est pourtant possible dans le cadre d’un véritable dialogue, en se laissant le temps de l’échange, de l’apprentissage, de la compréhension mutuelle. Les réseaux sociaux, c’est tout l’inverse. C’est l’instantanéité. C’est le simplisme. C’est le sensationnel, le marketing, dédié au seul champ des émotions et au nombre de likes récoltés. C’est ainsi servir la même pensée de sa communauté, pour plaire, pour séduire, pour faire grossir son champ d’influence, à la hauteur de son égo flatté par le nombre de likes. C’est l’inverse de la prise en compte de la complexité, de la nuance, à l’image du vocabulaire employé. Ainsi, les réseaux sociaux sont loin d’être des espaces d’échanges et d’apprentissage mutuel, mais plus des miroirs narcissiques. La plupart des réactions sont générées selon l’identité de l’émetteur, une phrase accrocheuse, l’accessibilité de l’information ou des idées. Bien souvent, le dialogue, si nous pouvons employer ce terme, se résume à des likes réciproques, symptômes d’une superficialité des relations, des pensées.

Il ne faut pas sous-estimer que nos expériences respectives viennent jouer sur nos interprétations des mots reçus, des phrases. Nous ne pouvons pas nous empêcher d’interpréter, souvent en cherchant à se mettre à la place de l’autre par l’analyse de la raison qui la poussait à émettre ses propos, alors qu’il serait si simple d’accueillir les mots, sans surinterpréter. Le langage porte toujours un champ émotionnel, propre à chacun et bien évidemment respectable. La question actuelle de la liberté d’expression est au cœur de cette problématique. Desproges disait : « On peut rire de tout, mais pas avec tout le monde. »

Un dialogue est-il encore possible ?

Quand j’écris, j’essaie toujours d’être le plus précis possible dans le choix de mes mots. Probablement une déformation professionnelle, acquise dès mes premiers pas à l’Inspection Générale d’une grande banque. Quoique j’ai toujours aimé les mots, moi, l’ingénieur, comprendre leur origine, leur étymologie, suivant une forme de curiosité et souvent un plaisir intellectuel, un ravissement. Pour autant, je ressens souvent la frustration de ne pas pouvoir transmettre vraiment ce que je ressens au fond de moi. Je perçois évidemment les freins de la personne avec laquelle j’interfère, ou du moins une écoute plus ou moins libérée de sa pensée. La pensée repose sur une vision du monde, de manière holistique. Or, l’écriture, la parole, se construisent de manière linéaire séquentielle, ne permettant pas, ou très difficilement, la globalité d’une pensée. Ainsi, il faut faire des choix d’un axe de communication, souvent de manière peu satisfaisante, tant on aimerait pouvoir transmettre l’holistique !

On ne convainc jamais personne !

En outre, même si la personne écoute avec la meilleure intention, son expérience diffère de la mienne. Ainsi, elle percevra les mots avec son propre logiciel. Pour évoquer l’écoute, on oppose souvent les volubiles avec les introvertis. Or, ce n’est pas parce qu’une personne ne parle pas, qu’elle écoute ! Ce n’est qu’après plusieurs années de frustration de ne pouvoir vraiment communiquer ou transmettre, que je comprenais, à mon tour, les propos d’un de mes entraîneurs d’athlétisme, fort d’une grande expérience de la vie, qui m’avait affublé de plusieurs surnoms, dont « le conférencier ». Il est vrai que j’aime communiquer, surtout transmettre, expliquant le plaisir que j’éprouve, depuis plus de 15 ans, à accompagner les étudiants d’une grande école parisienne. Il est, d’ailleurs, un paradoxe à apprécier à parler devant un parterre de personnes, ou échanger avec une ou deux personnes, et à également détester de me retrouver dans des « small talks », souvent apanage de mondanités … Or, cet entraîneur me dit aussi : « Tu parles trop ! ». Je pense qu’il a profondément raison. Le dialogue se résume à un échange de sourds, chacun campant sur ses propres croyances. Seule sa propre expérience est juge paix et permet l’évolution de ses propres idées. On ne change jamais le monde. Le monde est ce qu’il est. On peut, en revanche, essayer de changer le regard que l’on porte sur le monde et l’humanité. C’est, en ce sens, que l’on change le monde !

Alors, pourquoi parler ou écrire ? Pour se rassurer et favoriser la rencontre avec des autres qui seront animés par la même pensée ? Sans tomber dans le syndrome du like ! Pour transmettre son expérience ? Mérite-t-elle d’être transmise, si on considère que la vérité n’existe pas ? Et, pour quelle intention ? Partager le parcours d’un chemin, une évasion, une liberté … Peut-être bien.

J’ai écrit.

En synthèse :

·       Les mots possèdent plusieurs acceptions, pour soi, pour les autres, selon le contexte, selon les émotions.

·       Le dialogue n’existe pas dans les réseaux sociaux.

·       Dialoguer, c’est renoncer à transmettre de la manière la plus globale et juste, sa pensée.

·       Le dialogue est rare … et ne permet pas de se changer, à l’inverse de l’expérience.

Prochain article : La pensée – 5/9 Le rapport à l’action

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