La Vème République se meurt, vive la Vème !
Chronique « L’état de l’État » – L’Opinion, 29 mars 2024

La Vème République se meurt, vive la Vème !

Notre pays a longtemps ressemblé à la jeune Haydée, dépeinte par Éric Rohmer dans le quatrième de ses Contes moraux. Dans l’ordre politique en effet, l’histoire de la France est celle d’une collectionneuse à la moue boudeuse, qui s’est amourachée de Déclarations, de Chartes et de Constitutions, jetant l’une et allant vers l’autre, comme pour éprouver sa liberté. Parce que notre peuple aime détester la politique, nous avons souvent été tentés de répondre à une crise politique par un chamboule-tout institutionnel.

La Vème République fait-elle exception ? Il est vrai que, de 1958 à aujourd’hui, il s’est écoulé plus de temps que de la fin de l’Ancien régime à la proclamation du Second Empire, en passant par la Révolution, le Consulat et l’Empire, la Restauration, la Monarchie de Juillet et la IIème République. C’est dire l’étonnante longévité du régime qui, dépassant le record jusqu’alors détenu par la IIIème de 1875 à 1940, paraît avoir permis à la France d’enfin trouver son introuvable Constitution.

Il me semble, pourtant, que l’apparente stabilité de la Vème République n’est qu’une illusion. D’une part, au plan juridique, nous n’en avons pas fini avec le bougisme constitutionnel : pas moins de vingt-cinq révisions ont amendé le texte initial, tandis que la juridictionnalisation du droit constitutionnel plonge la matière dans des sables mouvants, au gré d’une jurisprudence aussi abondante que créative. D’autre part et surtout, au plan politique, quatre dérèglements majeurs permettent d’affirmer que la Vème n’est plus ce qu’elle était.

La boursouflure présidentielle, d’abord, a dénaturé le système politique jusqu’à l’égocratie.

Sous l’effet principal de cette « Constitution de l’an 2000 » qu’a été l’instauration du quinquennat, le présidentialisme découlant de l’élection du chef de l’État au suffrage universel direct a été amplifié, à l’ère de l’immédiateté numérique, dans des proportions déraisonnables. Croyant être à la fois la résurrection de Jules César et celle de Jeanne d’Arc, mais aussi le sous-secrétaire d’État à la fixation des prix de l’énergie éolienne, le chef du bureau de la réglementation des chaussettes recyclables, un commentateur de faits divers et un influenceur sur Instagram, le président de la République parle et prétend décider de tout, tout le temps, tout seul.

Au prétexte que son élection aurait été un instant magique concentrant toute la délibération et toute la décision politiques, l’Élu joue au Très-Haut, comme s’il incarnait à lui seul le verbe et donc le pouvoir, en détenant le monopole du monologue et, par conséquent, la capacité d’action sur les êtres et les choses. Mais soumis à la tyrannie de l’instant, le président ne préside plus vraiment, courant derrière mille et une priorités, survivant dans un état d’agitation permanente. Entretenue par des clientèles de courtisans, sa propension absolutiste confine à la psychose.

Malheur au pays dont le Prince oublie le principe de réalité au point d’être plongé dans la marmite de l’inefficacité. C’est tout le paradoxe de ce fort si faible, qui jouit des apparences d’un pouvoir immense mais s’abime dans une funeste impuissance.

Le deuxième dérèglement est concomitant : c’est, bien sûr, l’effacement du gouvernement. Désormais composé de fantoches, sauf exception, cet organe ne gouverne plus rien.

Dans la chaîne hiérarchique de l’État, un ministre est aujourd’hui nettement au-dessous des collaborateurs logés dans les soupentes de l’Élysée : les membres du gouvernement obéissent aux ordres que leur donnent les conseillers du président et, a contrario, ne dirigent pas leurs administrations. Quant aux relations du gouvernement avec le Parlement, elles sont aussi fréquentes que dénuées de réelle portée : les ministres passent une partie de leur vie à parler dans les enceintes parlementaires mais n’y assument plus aucune responsabilité effective. La preuve en est que tel ou tel personnage théoriquement responsable d’un département ministériel dont les résultats sont objectivement calamiteux depuis plusieurs années peut s’y maintenir sans qu’à aucun moment le Parlement ne puisse le démettre – comme si la responsabilité ministérielle, censée être au cœur de la démocratie parlementaire, n’était qu’une indigne vieillerie.

Le troisième dérèglement est l’agonie de l’Assemblée nationale.

Si les sénateurs, eux, parviennent encore à assumer leurs missions institutionnelles, les députés se noient dans un bavardage improductif – soit, comme entre 2007 et 2022, que l’Assemblée se trouve cadenassée par la logique hypermajoritaire qui la transforme alors un organe subordonné à l’Élysée ; soit, comme depuis 2022, que l’émiettement de l’hémicycle, où la majorité est minoritaire et les minorités ne sont pas majoritaires, en fasse une agora aléatoire structurellement empêchée de décider de choses importantes. De même, le Parlement national n’est que le spectateur lointain de ce qui se joue sur la scène européenne : comme un enfant, on lui demande de ne pas trop embêter les grandes personnes.

Le quatrième dérèglement consiste à tenir le peuple à distance de la politique, en l’éloignant de toute délibération sérieuse et de toute décision effective.

La déshérence du référendum, depuis près de vingt ans, en est l’évidente illustration, que l’invention de dispositifs para-institutionnels et pseudo-participatifs (comme le grand débat, le conseil national de la refondation, les conventions citoyennes et tutti quanti) n’a ni pour objet ni pour effet de compenser. Et puisque les institutions politiques de l’État-nation tournent à vide, c’est ailleurs que se prennent les grandes décisions – notamment dans les enceintes juridictionnelles, qui débordent de leur lit au point de devenir un pouvoir supra-politique.

Ainsi s’épuise la Vème République, jusqu’à ce que les citoyens se réveillent. Le président Pompidou nous l’a dit : «les institutions sont ce que les hommes les font». Comment retrouver, en pratique, ce qui était l’esprit originel de nos institutions ? A nous de jeter les démagogues dans les poubelles de l’histoire – et de choisir lucidement, demain, des dirigeants dignes d’exercer le pouvoir.


Guillaume Larrivé est président de l’institut La France demain. Dernier ouvrage paru : Immigrations, l’heure de la décision (L’Observatoire, 2024).

Je suis favorable à un retour à la constitution de 1958. Nous pourrons sur cette base greffer de nouveaux contre-pouvoirs qui reposent sur plusieurs principes, à la fois pour donner plus de pouvoir au peuple (tirage au sort de représentants, mandats impératifs, démocratie directe) et doter le régime d'une plus grande stabilité via d'autres types d'organes institutionnels qui incarneront une nécessaire forme de longévité. La priorité est la souveraineté nationale et la restauration de l'État. En revanche, l'instauration d'institutions ou leur restauration ne résout pas tout. Il nous faut aussi établir de nouvelles normes comptables. Il est impossible de garantir un équilibre des pouvoirs entre travailleurs, patrons et investisseurs dans le cadre des normes comptables actuelles, puisque celles-ci impliquent la réduction a minima du travail, conçu comme une pure charge, et donc des travailleurs. Plus globalement, il va nous falloir restaurer le droit dans son essence et mettre fin à l'hégémonie du droit positif. Nous devons cesser de réduire le droit à du règlement et de pisser de la loi comme des informaticiens pissent du code.

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