Le futur dont j'ai envie... Al Mahaba
La compagnie des Tambourlingueurs et Confkids organisent des séjours où se rencontrent et réfléchissent ensemble des jeunes confiés à la Protection Judiciaire de la Jeunesse ou de l'Aide sociale à l'enfance, et des jeunes activistes socio-environnementaux.
En 2023, le groupe de la 4e édition a co-écrit 3 synopsis de courts métrages sur "Le futur dont j'ai envie...".
Al Mahaba
est l'un de ces trois textes.
Un texte de R., Fatima, A., Tony, Choukri, Hugo et Carole
En 2050, les discriminations n’existent plus
Au cours des vacances de Pâques, Bella se rend pour le premier week-end chez Joseph, son formidable grand-père. Son Jedi. En ce samedi, à l’heure du goûter, il lui prépare le thé tandis que Bella, fraîchement arrivée, part aussi tôt à la chasse aux œufs. Fouinant partout, elle retrouve cachée, dans la table de chevet de son grand-père, une vieille collection de photos et de vieux journaux poussiéreux. L’adolescente, un peu turbulente et pleine de curiosité, se met à questionner son grand-père à propos de cette découverte.
Feuilletant l’album photo un peu usé par le temps, Bella tombe sur une photo polaroïd où apparaissent Joseph et des amis d’enfance. Étonnée de découvrir un pan de vie inconnu de son grand-père qui lui raconte pourtant tant de choses, celle-ci s’empresse de l’interroger. C’est à ce moment-là que Joseph, coupant court aux questions qu’il sent venir, lui saisit la main d’une énergie agacée et lui demande de fermer les yeux, pour remonter dans son histoire… À travers ce voyage dans le temps, son grand-père lui fait vivre réellement un moment caractéristique de la société des années2020.
Joseph se sent toujours affecté par cette histoire. Il lui raconte l’annonce, à ses amis d’enfance, du mariage de son fils, le père de Bella, avec une jeune femme d’une autre origine. En cette belle journée printanière, le partage de ce si bel évènement ne se fait pas sans conséquences: les amis de la famille déclinent en effet l’invitation pour, finalement, se détourner de plus en plus de leur amitié de si longue date.
Bella, bouleversée par ce qu’elle vient devoir, interroge un Joseph encore étonné par ce retour vers son passé dû à leur si grande complicité. Celui-ci ne manque pas de la consoler. Mais, toujours blessé de cette histoire, il s’exclame « Klebs ! Ce sont des racistes ! ».entrant dans le salon pour éteindre la bouilloire prête à servir le thé, l’adolescente revient sur les propos et l’agacement de son grand-père. Et l’interroge sur ce qu’est le racisme, un mot disparu depuis peu du vocabulaire comme du dictionnaire, au profit d’un vivre-ensembleharmonieux sans haine ni violences.
Dans ce moment plus calme, l’émotion ne prend plus le pas. Mais, Bella reste assoiffée de savoirs.
Joseph va récupérer les verres à thé dans le buffet, quand Bella découvre sur ce dernier un petit coffret. Elle demande à Jedi ce qu’il y a à l’intérieur. Avec son énergie coutumière, elle rejoint son grand-père qui ouvre le coffret. Elle y voit un vieux magazine de mode. Elle le saisit et le feuillette avec intérêt. Et s’aperçoit que les mannequins y sont toutes similaires: elle s’exclame en disant « Jedi, ils se ressemblent tous à votre époque ! ». En voyant la surprise sur son visage, son grand-père lui répond que c’est ce que la société souhaitait alors nous montrer. Mais pour mieux lui fairevivre, il lui tient la main, lui demande de fermer les yeux et l’emmène vers le passé.
Ils arrivent alors dans une rue animée de nombreux écrans multicolores, sur lesquels les publicités et les images mettent en avant un seul type de corps: les femmes ysont toutes fines, d’origine occidentale, et blondes aux yeux bleus pour la plupart. Bella reste ébahie face à cette unicité et s’interroge,sans comprendre le lien entre ce qu’elle vit aujourd’hui et ce qu’elle est en train d’observer. Comment imaginerun monde avec une telle homogénéité ? Que s’est-il passé pour en arriver là ? Les corps ne sont-ils pas divers, pour n’en montrer qu’un seul avec les mêmes caractéristiques ?
Elle se tourne vers son grand-père d’un air interrogatif. Sentant son profond désarroi, celui-ci comprend que cette homogénéité l’affecte tout particulièrement, elle qui a cette sensibilité face à la diversité des apparences. Joseph prend donc le temps de lui expliquer la dictature permise avec un seul et unique outil: le dieu Photoshop. Qui masquait, gommait tout ce qui lui arrivait sous la souris: rides, taches de rousseur, kilos en trop, taille et autres caractéristiques jugées « imparfaites ». C’était l’époque de la grossophobie ; une époque où une seule beauté était acceptée.
Bella tente de comprendre cette uniformisation des corps sans arriver à une conclusion. Un mélange de sentiment d’incompréhension et de perplexité jaillit. Elle essaie de l’étouffer en repensant à une publicité de sa marque de parfum préférée, « DéboChanel ». Elle tend la main en direction de son Jedi et revient sur le canapé du salon, en face de la télévision. Quand… sur l’écran, passe à ce moment la publicité de ce parfum montrant la diversité des corps, des apparences, de genres, et ce, sans aucune distinction. Cela procure à Bella un sentiment d’apaisement: elle retrouve de la justesse, de l’harmonie constituée par la pluralité du monde. Toutes ces formes, ces couleurs et ces tailles lui redonnent envie de danser la danse de la vie, de la diversité des mondes.
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Alors que la pub se termine, le regard de Bella tombe sur un vieil article du Parisien dénonçant le plafond de verre. Et oui Joseph en tant que grand collectionneur n’a perdu aucun de ces vieux journaux. À l’époque où ceux-ci étaient encore imprimés sur du papier. Joseph se lève pour prendre ce fameux journal et ne peut s’empêcher de le sentir… L’odeur du vieux papier lui rappelle tous ses souvenirs. Bella, toujours aussi curieuse, sort Joseph de ses pensées en lui demandant « Jedi c’est quoi le plafond de verre ? »
Pour lui répondre, Joseph part au fond du salon pour aller chercher l’un de ses hologrammes préférés. On y voit dessus Sonia, sa femme, ainsi que Joseph, le jour de leur remise de diplôme. Alors que Bella est toute souriante devant cette image animée, Joseph comme à son habitude replonge dans son passé et part sur de longues explications.
Après quelques minutes d’un monologue interminable, Bella, impatiente, l’interrompt pour le faire revenir à la question initiale: « Mais Jedi c’est quoi le plafond de verre ? »Joseph est tout d’un coup silencieux. Il regarde alors Bella et lui propose un nouveau voyage dans le passé pour lui montrer ce qu’est le plafond de verre. Une nouvelle fois, il lui tient la main, lui demande de fermer les yeux et l’emmène…
Bien arrivé en 2005, ils atterrissent dans un couloir, et aperçoivent par une porte entrouverte Sonia pleurant dans les bras du jeune Joseph qui la console. En voyant sa grand-mère à l’âge de 30ans, Bella est touchée par sa grande beauté. Au travers de ses larmes, elle sait enfin d’où proviennent ses jolis yeux bleus.
Attristée de voir sa grand-mère pleurer, elle questionna Joseph sur la raison de ses larmes. Joseph lui fit signe de se taire pour qu’ils puissent entendre ce qu’ils se disent derrière la porte. Entre deux sanglots, Bella comprend que Sonia vient de se voir refuser sa promotion pour une raison complètement injuste.
Comme si être une femme de 30ans sans enfant justifiait un tel refus. Bella découvre ainsi qu’il n’y a pas si longtemps encore, de nombreuses femmes se voyaient refuser des postes simplement parce qu’elles sont des femmes. À l’époque avoir des enfants était plus vu comme un risque que comme une qualité. Quel contraste pour Bella, alors que dans son monde, être mère est, au contraire, une ligne de plus hautement valorisé sur un CV ! Le pire dans cette histoire c’est qu’elle apprend que c’est le jeune stagiaire Paul qui a obtenu la promotion.
C’en est trop pour nos deux protagonistes. Ils décident de rentrer chez eux en gardant ces souvenirs du plafond de verre profondément ancrés en eux. De retour chez eux, quelle surprise de voir les parents de Bella déjà là pour la récupérer. Celle-ci court les embrasser.
Entre deux câlins, elle les remercie pour tous les combats qu’ils ont menés par le passé. Au travers de ces voyages, elle comprend tout le chemin parcouru jusqu’ici. Le monde sans discrimination dans lequel Bella vit aujourd’hui ne s’est pas fait du jour au lendemain.
Ses grands-parents comme sesparents ont dû traverser beaucoup d’épreuves très difficiles. Heureusement, c’est l’amour, le fameux Mahaba*, qui l’a toujours remporté. Réunis tous ensemble, ils profitent de ces rares moments en famille pour partir pour un dernier périple.
Accompagnés du soleil couchant, ils se prennent tous la main, ferment les yeux à l’unisson, et s’évadent vers un nouveau souvenir.
*Mahaba:en langue arabe, signifie plus fort encore qu’aimer