Movember vs Moi(s) sans tabac : deux campagnes et deux visions de la santé

En novembre, deux campagnes attirent l'attention en matière de santé publique : Movember, une initiative mondiale visant à sensibiliser sur la santé masculine, et le Moi(s) sans tabac, une opération française inspirée de l’expérience britannique Stoptober. Si ces deux initiatives de prévention utilisent des outils de communication pour favoriser le changement de comportement et mobiliser les citoyens, leur impact et leur pertinence diffèrent significativement.

Cet article propose une réflexion critique sur ces deux campagnes, en s'appuyant sur des données scientifiques et des critères d'efficacité habituels en santé publique. Il illustre également l'intérêt d'une approche intégrant les données probantes tout en pointant les limites du marketing et de la communication en santé.

Movember : Une campagne séduisante mais controversée

Origine et objectif : Lancée en Australie en 2003, Movember vise initialement à sensibiliser aux cancers masculins (prostate et testicules) puis s'est étendu à d'autres sujets comme la santé mentale et à la prévention du suicide.

Pour résumer, le mode opératoire de cette action s'avère assez simple. Les participants se laissent pousser la moustache pour attirer l'attention sur ces causes et pour récolter des fonds qui sont ensuite redistribués à des acteurs de la prévention.

Une analyse critique :

• Un manque de consensus médical : En 2012, le British Medical Journal publie un article déclarant que « Movember insiste trop sur la prévention et sur des recommandations de fréquence d'examens de dépistage qui ne sont pas basées sur un consensus médical, et pêche à fournir des informations vraiment utiles » alors que par ailleurs « les sujets plus importants comme les maladies mentales, l'alcoolisme, le tabagisme et l'obésité ne sont pas abordés. »
• Absence de preuve d’efficacité : Difficile de dire si Movember a un quelconque impact significatif sur les taux de dépistage des cancers masculins ou encore sur la réduction des suicides. Il n'y a en effet aucune publication dans ce sens. À titre d’exemple, une revue systématique de 2021 sur les campagnes de sensibilisation montre que leur efficacité dépend d’un accompagnement structuré, ce qui manque à Movember (Wakefield et al., 2010) qui s'apparente à une opération ponctuelle.
• Usage obscur des fonds collectés : Une partie importante des donations est allouée à des frais de marketing et de gestion. L'ONG, la Movember Foundation, a récolté l'année dernière 137,2 millions de dollars et redistribué 78,4% de ces fonds à des programmes de santé masculine. Difficile à la lecture du dernier bilan d'activité de comprendre la mécanique de redistribution et les critères de sélection des organismes soutenus. Les résultats concrets des fonds collectés sont difficiles à évaluer, ce qui alimente les doutes sur l’efficacité et la pertinence de l'opération.
• Vision genrée et stéréotypée : La promotion d’une image "virile" interroge et peut renforcer les stéréotypes, au lieu de favoriser une approche inclusive et diversifiée de la santé masculine (Connell, 2005). Les hommes transgenres ou les personnes non-binaires, qui peuvent également être touchés par les enjeux de santé mis en avant (cancer, santé mentale), paraissent souvent invisibilisés.
• Absence de soutien des pouvoirs publics et large sponsoring par des firmes multinationales : Comme dans d'autres pays, les autorités publiques en France ainsi que les structures de référence en matière de dépistage se détournent de cette campagne. On retrouve cependant parmi les sponsors de grosses firmes et plusieurs marques liées au genre masculin se sont associées au fil des années à Movember, en prenant diverses initiatives autour de la moustache.

Moi(s) sans tabac : Une approche scientifique et communautaire

Origine et objectif : Inspiré de la campagne britannique Stoptober, le Moi(s) sans tabac est une initiative de Santé Publique France, lancée en 2016 qui vise à favoriser l'arrêt du tabac.

Pour résumer, l'opération consiste à inciter les fumeurs à arrêter pendant 30 jours, période clé pour augmenter les chances d’arrêt durable. Elle combine à la fois une campagne de communication "grand public" ainsi qu'une mobilisation citoyenne et professionnelle déclinée à l'échelle régionale et locale. L'événement piloté par les pouvoirs publics au niveau national (Santé publique France) et régional (Agences régionales de santé) associe étroitement les opérateurs du soin et de la prévention mais aussi les parties prenantes du champ de la santé, du social et du médico-social.

Quelle analyse peut-on faire de cette campagne ?

• Basée sur des données scientifiques solides : Une étude de Public Health England (2014) a montré que Stoptober a permis une augmentation significative des tentatives d’arrêt du tabac, avec un impact mesurable sur la réduction des fumeurs à long terme. En France, une évaluation récente du Moi(s) sans tabac met en évidence un retour sur investissement significatif : chaque euro investi permet d’économiser 7 euros en dépenses de santé.
• S'appuyant sur une méthodologie de "marketing social" et un accompagnement concret : Distribution gratuite de kits d’arrêt, soutien téléphonique, campagnes numériques et mobilisation des professionnels de santé. Une approche communautaire renforce l’engagement des participants, avec des forums en ligne et des événements locaux.
• Un impact tangible : Le Moi(s) sans tabac a permis une baisse de la consommation de tabac en France, contribuant à la diminution historique de la prévalence tabagique (Santé Publique France, 2022). La campagne Mois sans tabac permettrait d'éviter à l'horizon 2050 : 241 000 cas d'infections respiratoires basses, 210 000 cas de troubles musculo-squelettiques, 44 000 cas de bronchopneumopathies chroniques obstructives, 28 000 cas de cancers imputables au tabac, 18 000 cas de maladies cardiovasculaires, 8 000 cas de démence et 4 000 cas de diabète. Elle permettrait de gagner 107 000 années de vie et 149 000 années de vie.

Conclusion : Une question d’impact et d’éthique

Le contraste entre Movember et le Moi(s) sans tabac est flagrant et met en évidence deux visions en santé publique : l'une, symbolique et axée sur la visibilité ; l'autre, structurée et orientée vers des résultats mesurables.

Si Movember attire (beaucoup trop) l'attention, son manque d’impact concret et ses dérives interrogent. À l’inverse, le Moi(s) sans tabac prouve qu’il est possible d’allier marketing social, rigueur scientifique et bénéfices réels pour la population.

Sensibiliser, c'est bien. Mais en santé publique, cela ne suffit pas : les actions doivent être concrètes, mesurables et fondées sur des données scientifiques.

Arnaud Goulliart, Consultant en gestion de projet et stratégie | Améliorer votre impact | Santé physique, mentale, sociale et environnementale 👋 Comment me contacter ? Envoyez moi un e-mail -> arnaud.goulliart@gmail.com

Références utiles

Wakefield M.A., et al. (2010). "Use of mass media campaigns to change health behaviour." The Lancet.

Public Health England (2014). Evaluation of Stoptober Campaign 2013.

Guignard R, Devaux M, Nguyen-Thanh V, Lerouge A, Dorfmuller Ciampi M, Cecchini M, et al. Évaluation sanitaire et économique de Mois sans tabac : un retour sur investissement positif. Bull Épidémiol Hebd. 2024;(22):492-8. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2024/22/2024_22_1.html