Nouvel arrêté royal mettant en œuvre le Service Bancaire de Base (Entreprises) : Avènement d’une interdiction professionnelle implicite ?
1. Introduction. Dans notre Newsletter du 12 juin dernier[1], nous avons fait le point sur plusieurs modifications apportées au régime du service bancaire de base pour les entreprises et les missions diplomatiques (« SBBE »), dont la mise en œuvre et l’entrée en vigueur étaient conditionnées à l’adoption d’un nouvel arrêté royal.
C’est chose faite, avec la promulgation de l’arrêté royal du 17 juillet 2024 modifiant l'arrêté royal du 16 décembre 2022 relatif au service bancaire de base pour les entreprises.
2. Motifs de refus du SBBE. L’une des principales nouveautés apportées à la procédure de demande du SBBE était l’instauration de motifs « objectifs » de refus entraînant le rejet, d’office, par la Chambre du service bancaire de base, de la demande introduite par une entreprise (en ce compris les associations de copropriétaires) ou une mission diplomatique.
Ainsi, en application du nouvel article 2, § 4, de l’arrêté royal du 16 décembre 2022, la rencontre d’une des conditions suivantes entraînera d’office l’exclusion du demandeur du régime de SBBE :
3. Interdiction professionnelle implicite ? Les deuxième et troisième motifs de refus ne semblent pas se prêter à la discussion. L’on s’interroge cependant sur l’équilibre et l’opportunité du premier, dont les conséquences, tel qu’il est rédigé, pourraient s’avérer disproportionnées par rapport au but poursuivi.
En effet, en excluant d’office du SBBE certaines entreprises en raison d’une condamnation (de l’entreprise elle-même ou d’un membre de son organe légal d’administration) antérieure à l’introduction de la demande, du chef de certaines infractions, l’arrêté royal instaure vis-à-vis de ces personnes une forme d’« interdiction bancaire ».
Or, les entreprises sont légalement tenues de disposer d’un compte de paiement ouvert auprès d’un établissement bancaire[2]. Par conséquent, l’entreprise exclue de sa banque et/ou qui ne parvient pas à obtenir l’ouverture d’un compte, ne pourra pas bénéficier du SBBE si elle a été condamnée, ou si un membre de son organe de gestion a été condamné, moins de cinq ans avant sa demande de SBBE et se trouvera donc dans l’impossibilité de conduire ses activités, ou le dirigeant en cause sera empêché d’exercer ses fonctions.
Pour les « anciens condamnés », une telle exclusion constitue une entrave au libre exercice d’une activité économique[3], qui confine en définitive à l’instauration « incidente » d’une « peine » automatique et générale d’interdiction professionnelle[4].
Ceci emble difficilement conciliable avec le principe de légalité des peines (« nulla poena sine lege ») voire l’autorité de la chose jugée, ne fut-ce que pour les personnes dont la condamnation n’a pas été assortie par le juge répressif d’une peine d’interdiction.
C’est d’autant plus surprenant que certaines des infractions précitées, telles que la fraude sociale et la fraude fiscale grave[5], ne peuvent, en droit positif[6], tout simplement pas donner lieu à une peine d’interdiction professionnelle[7].
Par conséquent, c’est avec une certaine circonspection que nous percevons cette dernière évolution dans la mise en œuvre du SBBE.
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4. Entrée en vigueur. Les articles 12 et 13 de loi du 4 mai 2024 consacrant, notamment, la modification de la procédure de demande du SBBE (en ce compris la prise en considération des motifs de refus précités) et l’extension des devises accessibles par le biais de celui-ci entreront en vigueur le 1er novembre 2024.
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Pour plus d’informations, vous pouvez contacter : Marc-David Weinberger (marc-david.weinberger@cew-law.be) et Antoine Mairesse (antoine.mairesse@cew-law.be), avocats, CEW & Partners.
[1] M.-D. Weinberger et A. Mairesse, « Evolutions en matière de service bancaire de base (SBB) », Newsletter, 12 juin 2024, lien.
[2] Cf. Art. 1er de l’ arrêté royal n° 56 du 10 novembre 1967 favorisant l'usage de la monnaie scripturale et art. III.18 et III.25 du Code de droit économique.
[3] Cf. article II.3 du Code de droit économique (liberté d’entreprendre) : « Chacun est libre d'exercer l'activité économique de son choix ».
[4] Dont les prémices avaient déjà été introduites à l’article VII.59/6 du Code de droit économique, consacrant des motifs obligatoires de refus d’ouverture d’une relation d’affaires (avant l’introduction d’une demande de SBBE) ainsi que des motifs facultatifs de refus ou de résiliation du SBBE (c’est-à-dire, après la désignation en tant que prestataire du SBBE) en cas de condamnation pour escroquerie, abus de confiance, banqueroute frauduleuse ou faux en écriture.
[5] Dont les contours juridiques et factuels peuvent être parfois flous.
[6] L’article 48 du nouveau livre Ier du Code pénal instaure une peine autonome d’interdiction professionnelle qui pourra être prononcée par le juge répressif lorsqu’une personne condamnée a « abusé gravement de sa profession pour commettre l’infraction ». Il devrait, en principe, entrer en vigueur le 8 avril 2026.
[7] L’on peut toutefois nuancer ce propos en ce qui concerne les personnes exerçant certaines professions liées aux conseils fiscaux et/ou comptables (visées à l’article 455, § 1er, 4° et 5°, du CIR), qui sont tout de même susceptibles de faire l’objet d’une interdiction professionnelle ciblée en cas de condamnation du chef d’une des infractions visées aux articles 449 à 453 du CIR.
Avocat
4 moisIntéressant et très pertinent, comme toujours !