Plantes médicinales : les sujets qui fâchent - 1. L'Adultération

Plantes médicinales : les sujets qui fâchent - 1. L'Adultération


1. L'Adultération - Kesako?

Dans le domaine des plantes médicinales, l'adultération fait référence à une pratique frauduleuse qui consiste à ajouter, dans un ingrédient botanique, une substance indésirable (végétale ou non) afin d'augmenter la marge bénéficiaire à la vente. La substance indésirable peut être destinée à "faire de la masse" à moindre coût ou à simuler un profil moléculaire plus précieux et donc plus onéreux.

Il est évidemment difficile d'estimer le taux d'adultération sur le marché mondial des plantes médicinales mais on peut, sans prendre trop de risques, dire qu'il est tout sauf marginal voire extrêmement répandu (qui a dit "C'est la norme" !?). Par ailleurs, plus la plante médicinale est précieuse et plus le risque d'adultération est élevé (Mercantilisme, quand tu nous tiens).

On prendra soin de ne pas confondre l'adultération avec la contamination de l'ingrédient par une autre espèce. La distinction tient au fait que la contamination n'est pas volontaire et est souvent due au manque d'expertise botanique du récoltant et/ou à la méthode de récolte qui peut entrainer la présence de végétaux indésirables dans le lot (ce qui peut amener des problèmes de contamination, notamment aux alcaloïdes pyrrolizidiniques, mais c'est un autre débat).

Dans cet article, je vous propose de découvrir à travers quelques exemples marquants, les différents types d'adultérations:



2. Ajout d'une autre espèce

Certaines plantes rares ou délicates à cultiver, ont une valeur au kg très élevée. Pour peu qu'il soit possible de "faire de la masse" à moindre coût, sans alerter le client, certains fournisseurs sans scrupule sont prêts à "couper" le précieux trésor botanique à l'aide d'une autre espèce végétale, afin d'augmenter leurs bénéfices. Cette pratique est malheureusement tout sauf nouvelle puisque des cas d'adultération étaient déjà rapportés durant l'antiquité, notamment pour le Sylphium (plante médicinale précieuse de la région Cyrénaïque).

Trois exemples emblématiques :


2.1. Le ginseng coréen & les faux ginsengs

Le ginseng coréen (Panax ginseng) est le roi des adaptogènes. La plante est si précieuse qu'elle a fait et défait des dynasties (elle est d'ailleurs à l'origine de l'établissement précis de la frontière moderne entre Corée et Chine). Sa valeur inestimable poussera "La compagnie des Indes" à réaliser une adultération à très grande échalle, à l'aide d'une plante médicinale amérindienne de la même famille (appelée Garent‑oguen par les Iroquois) et ressemblant au ginseng. La compagnie exportera la plante en Chine, depuis les colonies nord américaines, afin de la faire passer pour du véritable ginseng (une approche qui lui permettra de réaliser de juteux bénéfices en revendant à prix d'or ladite plante aux riches chinois).

Le nom scientifique de la plante en cause était alors Aureliana canadensis et deviendra plus tard Panax quinquefolius, dont le nom moderne est désormais "Ginseng américain". Précision importante, le ginseng américain a évidemment un intérêt médicinal en lui-même. La plante, bien qu'utilisée par les amérindiens, était cependant peu prisée et il était donc facile de proposer aux colons et tribus locales, de leur acheter celle-ci à un prix défiant toute concurrence. La distinction entre les deux est aujourd'hui clairement établie et les deux espèces sont vendues séparément.

On notera que le nom commun de la plante a conservé le terme "ginseng" (alors qu'il n'est pas présent dans le nom scientifique) et que celui-ci sera d'ailleurs suivi par une myriade d'autres "faux ginsengs" souhaitant bénéficier de l'aura du prestigieux terme. C'est notamment le cas du ginseng sibérien (Eleutherococcus senticosus), du ginseng brésilien (Pfaffia paniculata) ou encore du ginseng indien (Withania somnifera).


2.2. La Rhodiole rose & sa cousine crénelée

La Rhodiole rose (Rhodiola rosea) était déjà prisée des peuples vikings. Ces derniers utilisaient sa racine comme tonique générale et lui prêtaient des vertus de longévité. Cette plante adaptogène à la composition moléculaire complexe, est si prisée qu'elle est désormais menacée et se retrouve en annexe 2 de la convention CITES.

Si l'utilisation nordique traditionnelle suggère une origine scandinave, l'essentiel de l'approvisionnement vient aujourd'hui du nord de la Chine (la région de Xing jiang en tête) et du sud de la Russie (et son magnifique plateau de l'Altaï).

Avant d'aborder la question de l'adultération, on s'étonnera déjà du fait que les peuples vikings vivaient essentiellement dans un climat nordique océanique de basse altitude (bord de Fjords), quand la matière végétale actuelle provient désormais d'une zone continentale montagneuse de haute altitude. Le profil originel tant recherché n'est donc désormais plus le profil standard commercialisé, puisque l'environnement de croissance influence fortement celui-ci. On notera que ce "profil commercial" doit quant à lui son succès à l'utilisation de la Rhodiole par l'Union Soviétique.

Sur les dizaines de molécules actives présentes dans la racine de Rhodiola, notre industrie n'en retiendra que 2 catégories: les phénylpropanoïdes (rosavine, rosarine, rosine, etc.) et les phényléthanoïdes (salidroside, tyrosol, etc.)

Si la seconde catégorie fait l'objet de multiples études sur ses bienfaits physiologiques, la première est essentiellement utilisée pour s'assurer de l'identité de l'espèce. En effet, si les fjords scandinaves sont le royaume presque exclusif de la Rhodiole rose, cette dernière doit se partager le nord la Chine avec de nombreuses espèces du même genre, dont sa cousine crénelée (Rhodiola crenulata). Or, cette dernière ne contient pas de rosavines et il est donc facile de distinguer les deux espèces en s'assurant de la présence desdites molécules dans l'extrait. Pas de rosavines, pas de Rhodiola rosea.

Il est intéressant de noter que certains spécimens de Rhodiole crénelée récoltés sur les sommets du plateaux du Tibet, contiennent une quantité très significative de salidroside. La plante n'est donc pas du tout dénuée d'intérêt sur le plan de l'efficacité. Elle est d'ailleurs considérée comme médicinale par la plupart des pharmacopées traditionnelles locales.


2.3. La gaulthérie couchée cultivée

En Chine, il existe une myriade de producteurs d'huiles essentielles qui proposent notamment de la Gaulthérie couchée (Gaultheria procumbens). Bien que ce type de production y soit très répandu, il apparait pourtant crucial de demander une visite sur le site de culture dont sera issue le précieux extrait aromatique. Certains producteurs pourraient en effet vous montrer avec fierté, leurs magnifiques buissons de gaulthérie, à la ramure vigoureuse. Cette présentation sera cependant le signe que vous n'obtiendrez pas la bonne huile essentielle.

En effet, comme le nom de la plante le laisse entendre, la gaulthérie couchée est une plante rampante qui ne dépasse pas les 20 cm de haut. Si le buisson en question est effectivement une plante du genre Gaultheria et permet effectivement l'obtention d'une huile essentielle au profil moléculaire presque exclusivement composée de méthyl salicylate, il s'agit par contre, très probablement, de l'espèce Gaultheria fragrantissima.


3. Altération du profil moléculaire

Lorsqu'un laboratoire cherche à se procurer une plante médicinale, il s'attend à un profil moléculaire spécifique, que se soit parce qu'il s'agit d'un profil moléculaire jugé plus précieux ou parce que la concentration en substances actives doit atteindre un certain seuil pour garantir l'efficacité. Utiliser l'adultération pour reproduire un profil moléculaire qui ressemble à l'original est donc une démarche malheureusement courante.

Deux exemples emblématiques :


3.1. L'Hélichryse corse & l'acétate de Néryl

L'Immortelle (Helichrysum italicum) est l'une des huiles essentielles les plus onéreuses de l'aromathérapie "à la française". Comme de nombreuses autres plantes, une multitude de cultivars et de terroirs existent, menant à une myriade de chémotypes différents. Parmi ceux-ci, le chémotype dit "Corse" se caractérise par une quantité importante d'acétate de néryl associée à une concentration significative d'italidiones.

Soucieux de mettre en valeur ce terroir et ce savoir-faire unique, les laboratoires ont tout fait pour mettre en avant ce chémotype si caractéristique. Certaines marques vont jusqu'à défendre l'idée que l'abondance en acétate de néryl est la condition sine qua non aux bienfaits santé de la plante (une affirmation qui fait encore scientifiquement débat puisque certaines études confirment l'information quand d'autres la démentent), discréditant au passage la concurrence.

La valeur de cette huile essentielle d'exception d'origine Corse est donc, tout naturellement, extrêmement élevée. Malheureusement, la production de ce précieux extrait aromatique reste limitée et ne permet pas de satisfaire la demande explosive qui lui est associée. Certains acteurs peu scrupuleux ont alors décidé de développer la formule suivante: huile essentielle d'hélichryse non-corse riche en italidiones + acétate de néryl = huile essentielle d'hélichryse corse. L'acétate de néryl naturel peut en effet être produit à moindre coût et ajouté pour "corriger" le profil moléculaire et en faire un profil "typique".


3.2. Le Ginseng du pauvre

Comme nous le mentionnions précédemment, le ginseng est une plante médicinale mythique. Ce trésor botanique présente également une caractéristique spécifique (très souvent rencontrée sur les plantes adaptogènes les plus prisées) : le profil moléculaire actif se bonifie à mesure que la plante vieillit. Parmi les composés actifs du ginseng, les ginsénosides sont considérés comme la pierre angulaire de l'efficacité, raison pour laquelle la plupart des extraits titrés seront standardisés en ginsénosides.

Les analyses de ginsénosides individuels demandent une grande expertise et représentent un coût non négligeable. On leur préfère donc parfois la quantification en saponines totales (notons que si les ginsénosides sont des saponines, toutes les saponines ne sont pas des ginsénosides).

Pour obtenir un taux élevé de ginsénosides, rien de plus simple: vous récoltez des racines de ginseng qui ont 10 ans ou plus et le tour est joué. Malheureusement, la plupart du ginseng cultivé en Chine est récolté après 3 ans, une durée qui garantit de grosses racines (et donc un bon rendement quantitatif) mais avec un taux de ginsénoside souvent inférieur à 1% (et donc un mauvais rendement qualitatif).

Pour palier à cette problématique, certains producteurs asiatiques vont utiliser une plante nommée amicalement "le ginseng du pauvre". Il s'agit en réalité de la campanule chinoise (Codonopsis pilosula), une plante riches en saponines et qui permettra donc de duper le client, pour peu que celui-ci utilise un dosage des saponines et pas des ginsénosides individuels.

De quoi faire payer aux descendants occidentaux de la compagnie des Indes, l'adultération du ginseng coréen par du ginseng américain...



4. Comment éviter l'adultération ?

4.1. Sourcing is everything

Aujourd'hui, la qualité d'un produit nutraceutique à base de plantes médicinales repose presque plus sur la qualité des ingrédients que sur l'expertise de la formule. En effet, la meilleure formule du monde ne donnera que peu de résultats si les actifs sélectionnés sont en réalité d'une qualité médiocre.

Prenez le temps d'échanger avec vos équipes de sourcing en interne, avec votre CDMO éventuel, mais aussi avec les producteurs et autres distributeurs d'ingrédients. Plus vous discuterez longtemps avec un fournisseur potentiel et plus vous aurez l'opportunité de distinguer l'expert passionné du vendeur de tapis qui simule la maîtrise.


4.2. La relation de confiance

L'idéal est évidemment d'entretenir une relation de confiance durable avec son fournisseur et d'éviter au maximum les intermédiaires afin d'avoir la meilleure visibilité sur sa chaîne d'approvisionnement. A titre d'exemple (et cela arrive plus souvent qu'on ne l'imagine), si votre fournisseur ne peut pas vous donner les détails quant à l'origine de la culture, vous pouvez déjà passer votre chemin. Les producteurs locaux ne sont pas tous meilleurs que leurs équivalents asiatiques (certains offrant des ingrédients d'une qualité exceptionnelle) mais ils ont l'avantage d'être à portée d'audits surprises réguliers. Le sentiment d'impunité généré par la distance géographique n'est pas à négliger.

Attention, être un petit producteur artisan, passionné par son métier et qui peut vous parler pendant deux jours de son amour du terroir et de son savoir-faire, ne garantit malheureusement pas un produit plus qualitatif que celui d'un gros producteur industriel. Les apparences sont parfois trompeuses et les grands noms du sourcing aiment tellement les préserver qu'ils peuvent s'avérer plus consciencieux/scrupuleux que certains "petits producteurs passionnés".


4.3. Contrôler, contrôler, contrôler!

Il n'est pas toujours possible d'avoir une visibilité complète sur la chaine d'approvisionnement, ni d'établir une relation de confiance avec un fournisseur (qui se trouve bien souvent à l'autre bout du monde). Dans ce contexte, une seule solution s'impose: contrôler, contrôler et contrôler. Que vous réalisiez ces contrôles en interne ou que vous fassiez appel à un laboratoire expert externe, il est important de réaliser ces contrôles à la fois sur l'échantillon qui vous est fourni en amont de la commande et sur la commande elle-même. Effectuez des contrôles systématiques lors des premières commandes, pour ensuite passer à des contrôles réguliers et finir sur des contrôles surprises sporadiques. Sachez que vous êtes responsables de ce que vous mettez sur le marché et qu'incriminer votre fournisseur en cas de problème, nous vous exonèrera pas de cette responsabilité. Prudence est mère de sûreté...

Céline Couteau

Dr en pharmacie - Dr de l'Université de Nantes

1 ans

Un vrai problème que l'on peut ignorer. Merci pour cet article !

Stefan Gafner

Chief Scientific Officer at American Botanical Council

1 ans

Merci d'aider dans l'effort educationnel sure ces problematiques. L'adulteration fait malheureusement partie de la realite des complements alimentaires. Vu que le consommateur (moi inclus) n'arrive pas a savoir comment evaluer la qualite d'un produit en se fiant sur l'etiquette, la plupart des gens achetent le produit le plus abordable. Ceci met de la pression sur les fournisseurs de livrer a de prix de plus en plus bas...

Kevin Burdin

Responsable scientifique et formation | Herboriste | Enseignant vacataire passionné

1 ans

Merci Nicolas ! J’ai été atterré quand j’ai vu la publication récente de la Botanical Adulterants Prevention Program, sur l’adultération du Ginkgo, notamment en Europe. ´

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