Pour l'ubérisation de la démocratie
La désaffection grandissante des Français vis-à-vis de la classe politique ne peut plus durer ! Nous devons reconstruire un engagement fort et cela passe par l'utilisation des nouvelles technologies : une véritable "uberisation de la démocratie"
Le peuple français éprouve une désaffection profonde vis-à-vis de la classe politique. Cette dernière apparaît quant à elle, totalement déconnectée des préoccupations des citoyens. À l’heure où les défis économiques, sociaux et environnementaux appellent l’engagement de tous, cette situation ne peut plus durer.
Face au monopole d’action de l’État, comment impliquer de nouveau les Français ? N’est-il pas envisageable, à l’instar de l’uberisation de l’économie, que le pouvoir politique soit mieux partagé grâce aux innovations technologiques et numériques ? L’objectif est simple : redonner au peuple les moyens de s’exprimer librement, plus souvent et en collaboration avec les pouvoirs élus pour réinstaurer de la confiance et de l’ambition pour notre société.
Deux positions extrêmes à éviter
Trop souvent, le débat d’une implication plus directe et plus importante du peuple se cristallise autour de deux positions extrêmes. La première défend le retour à une démocratie directe, c’est-à-dire un régime politique où les citoyens exercent directement le pouvoir, sans l’intermédiaire de représentants, par le biais de référendums, d’initiatives populaires ou même de micros-révolutions jadis défendues par Proudhon et remises au goût du jour par Michel Onfray. Le spectre de l’anarchisme ou du populisme n’est jamais très loin…
La seconde défend le maintien d’une classe politique élue, unique minorité consciente pour reprendre les mots d’Émile Durkheim. Il s’agit là d’une défense stricte de la verticalité du pouvoir comme garante d’une action éclairée des "sachants" (les élites) vers les ignorants (le peuple). Elle trouve aujourd’hui ses limites tant l’engagement des Français recule (François Hollande a été élu Président de la République en 2012 avec moins de 50 % des votants).
Une plateforme numérique pour accroître l’engagement citoyen
Contre cette vision dichotomique, la solution réside en partie dans l’utilisation des nouvelles technologies numériques. "Uberiser" la démocratie revient à contester l’action centralisée de l’État pour favoriser la collaboration, composante essentielle d’une bonne gestion de la polis. Ainsi, une plateforme publique permettant aux citoyens de s’exprimer sur des sujets politiques leur conférerait un pouvoir accru durant la totalité des mandats des représentants élus.
Uberiser la démocratie revient à contester l'action centralisée de l'Etat
La réalisation technique d’un tel outil pose peu de défis majeurs. Chaque citoyen agirait depuis son ordinateur, son smartphone ou en se rendant dans sa mairie. Anne Hidalgo, la maire de Paris a d’ailleurs lancé une telle initiative en début d’année où les Parisiens avaient la possibilité de co-construire des projets qui ont ensuite été soumis à un vote. Les meilleurs seront financés dans le cadre du budget de la ville.
Une implication citoyenne ciblée
Loin d’un retour de la tyrannie de la démocratie ou de la construction d’une usine à gaz, surtout dans un pays d’environ 45 millions d’électeurs, la clé vise à impliquer les citoyens là où ils apportent une réelle valeur ajoutée. Par exemple, les conférences organisées par le ministère de l’Économie, ouvertes à tous, permettent à Emmanuel Macron d’exposer ses idées et surtout de répondre aux questions de l’audience. Ce n’est bien sûr pas suffisant.
Le peuple doit obtenir le pouvoir de contrer les mesures déjà prises et orienter celles prévues. Pour cela, l’expression par la négative des citoyens, comme en Suisse, pays où la démocratie directe est bien plus développée que la moyenne mondiale, est une excellente solution. Les citoyens peuvent en effet s’opposer et rejeter une loi votée par le Parlement. Une plateforme numérique favoriserait une telle horizontalité du pouvoir qui pourrait s’étendre à la destitution d’élus comme ce fut le cas en Californie en 2003 avec la procédure de "recall" subit par Gray Davis.
Une plateforme numérique favoriserait une horizontalité du pouvoir
Un choix qui incombe à la classe politique
La rupture est déjà bien consommée entre le peuple et la classe politique. À ce titre, l’émergence d’initiatives telles que Podemos, Occupy Wall Street ou même la résistance des opposants au projet Sivens depuis plus d’un an est symptomatique. Néanmoins, la collaboration et la cocréation politique ne verront le jour que si la voix de chaque citoyen peut être entendue via une plateforme en ligne, rapidement et aisément accessible.
Si nous souhaitons éviter une crise similaire à celle qui oppose les taxis à Uber, la classe politique doit créer cette plateforme numérique avec la société civile qui n’attend que cela. En définitive, l’uberisation de la démocratie redonnera une voix à chaque citoyen et permettra aux Français de reprendre goût à la chose publique, condition sine qua non de notre prospérité future.
Article initialement publié dans Les Echos :
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