Pour une société plus juste : Le Conseil National de la Résistance et le "modèle social français"
Dès 1940, De Gaulle se positionne à la tête d'un mouvement pour rassembler sous la France Libre toutes les grandes têtes de la résistance disséminées sur le territoire français.
Un homme à l'écharpe légendaire entre en scène : Jean Moulin
En 1943, toute la France est occupée. Certains s’accusent, se trahissent.
Le 27 mai 1943 au 48 rue du Four dans le 6e arrondissement de Paris, le Conseil national de la Résistance se réunit pour la première fois.
Les représentants des mouvements de Résistance (Libération-nord et sud, Combat, Franc-tireur, OCM, Front national, Ceux de la Libération et Ceux de la Résistance) des partis politiques (PCF, SFIO, Parti radical-socialiste, Parti démocrate Populaire, Fédération républicaine, Alliance démocratique) et des confédérations syndicales (CGT et CFTC) sont regroupés.
Présidé par Jean Moulin, il adopte, après débat, une motion de soutien au général de Gaulle “qui fut l'âme de la Résistance aux jours les plus sombres et qui n'a cessé depuis le 18 juin 1940 de préparer en pleine lucidité et en pleine indépendance la renaissance de la Patrie détruite comme des libertés républicaines déchirées”.
Le 26 août 1944, c'est une Résistance unifiée qui descend les Champs-Elysées pour célébrer la libération de Paris.
Le chef de la France Libre, Charles de Gaulle, est alors entouré par les hommes du CNR comme le démocrate-chrétien Georges Bidault, qui devait succéder à Jean Moulin - arrêté par les Allemands en juin 1943 et mort en juillet - à la présidence du Conseil.
Le programme "Les jours heureux" adopté en 1944 par le CNR est une référence à un film à succès sorti en 1941, réalisé par Jean de Marguenat. Il résume l'état d'esprit des auteurs du programme pour une société libérée, fraternelle et plus justice. (Nous reviendrons bientôt sur la distinction entre fraternité et solidarité).
Le voici :
Dans un premier temps, quelle réponse apporter à la question de la raison du spectacle affligeant de soumission des hauts fonctionnaires sous l’Occupation et le régime de Vichy à la montée d’un régime autoritaire et répressif, pire complice de la terreur nazie ?
La création d’une nouvelle école s’impose pour mettre en place une fonction publique radicalement différente, garante des libertés et ouverte à la justice sociale. Le recrutement se fondant sur le seul mérite. Le CNR est à l'origine de la création de l'ENA le 9 octobre 1945.
De nombreux responsables politiques ont pris leur classe rue des Saints-Pères à Paris. En 1991, le siège de l’ENA est délocalisé à Strasbourg. L'ENA est remplacé aujourd'hui par l'Institut du service public..
Cette suppression risque-t-elle de laisser aux puissances économiques la fonction publique d’Etat ?
Dans un second temps, quelle réponse apporter à la question de l'assurance des moyens d’existence et de soin à tous les citoyens ?
Le Conseil national de la résistance, sous l’intitulé "les jours heureux", fixe le 15 mars 1944 le programme : “un plan complet de sécurité sociale, visant à assurer à tous les citoyens des moyens d’existence, dans tous les cas où ils sont incapables de se les procurer par le travail, avec gestion appartenant aux représentants des intéressés et de l’État”.
Voici un Extrait de l’exposé des motifs de l’ordonnance du 4 octobre 1945 :
" La sécurité sociale est la garantie donnée à chacun qu’en toutes circonstances il disposera des moyens nécessaires pour assurer sa subsistance et celle de sa famille dans des conditions décentes. Trouvant sa justification dans un souci élémentaire de justice sociale, elle répond à la préoccupation de débarrasser les travailleurs de l’incertitude du lendemain, de cette incertitude constante qui crée chez eux un sentiment d’infériorité et qui est la base réelle et profonde de la distinction des classes entre les possédants sûrs d’eux-mêmes et de leur avenir et les travailleurs sur qui pèse, à tout moment, la menace de la misère. "
" Envisagée sous cet angle, la sécurité sociale appelle l’aménagement d’une vaste organisation nationale d’entraide obligatoire qui ne peut atteindre sa pleine efficacité que si elle présente un caractère de très grande généralité à la fois quant aux personnes qu’elle englobe et quant aux risques qu’elle couvre. Le but final à atteindre est la réalisation d’un plan qui couvre l’ensemble de la population du pays contre l’ensemble des facteurs d’insécurité ; un tel résultat ne s’obtiendra qu’au prix de longues années d’efforts persévérants, mais ce qu’il est possible de faire aujourd’hui, c’est d’organiser le cadre dans lequel se réalisera progressivement ce plan. "
Le 4 octobre 1945, l’ordonnance créant la Sécurité sociale est promulguée par le gouvernement provisoire dirigé par le Général de Gaulle.
“l’ordonnance du 4 octobre 1945, à laquelle est à juste titre, attaché le nom d’un ami qui nous est commun à tous, M. Alexandre Parodi, a été le produit d’une année de travail, au cours de laquelle des fonctionnaires, des représentants de tous les groupements et de toutes les organisations intéressées, des membres de l’Assemblée consultative provisoire, dont certains font partie de la présente Assemblée, ont associé leurs efforts pour élaborer un texte que le gouvernement de l’époque a, en définitive, consacré conformément à l’avis exprimé par 194 voix contre 1 à l’Assemblée consultative” Ambroise Croizat.
Ambroise Croizat précise :
“le plan de Sécurité sociale est une réforme d’une trop grande ampleur, d’une trop grande importance pour la population de notre pays pour que quiconque puisse en réclamer la paternité exclusive… […] Cette Sécurité sociale, née de la terrible épreuve que nous venons de traverser, appartient et doit appartenir à tous les Français et à toutes les Françaises sans considération politique, philosophique ou religieuse. C’est la terrible crise que notre pays subit depuis plusieurs générations qui lui impose ce plan national et cohérent de sécurité”.
Il convient de préciser que la loi sur l’Assurance sociale de 1930 ébauchait ce que devrait être la Sécurité sociale en donnant les pleins pouvoirs à la Mutualité française. Mais les inégalités persistaient et les caisses d’affinités différentes n’étaient pas sous la responsabilité des assurés eux-mêmes. La Deuxième Guerre mondiale, le régime de Vichy avec la charte du travail, y mettaient fin.
Depuis le 1er janvier 2018, les cotisations salariales sur l’assurance maladie et l’assurance chômage disparaissent du moins en écriture.
Il s'agit de dégager quelques euros de pouvoir d'achat
[dans un pays en surconsommation ou consumation de la planète devrions-nous parler de pouvoir d’achat ou de pouvoir de vivre dignement]
tout en programmant la disparition de la sécurité sociale d'Etat.
La disparition de l'Etat providence et la concrétisation de la fracture sociale arrivent à échéance. Ce basculement est à double titre :
La contribution sociale généralisée (CSG), la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS) et la contribution de solidarité pour l'autonomie (Casa) s'appliquent aux pensions de retraite. (CSS art. L 136-8, II, 2° modifié).
Ce tout de passe-passe a pour conséquence de transférer l'assurance sociale publique vers l'assurance privée des mutuelles.
Ce transfert remet en cause l'œuvre des bâtisseurs du système français, que l’on nous envie, en faveur d’une privatisation de l'assurance maladie vers les assurances privées.
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D'ailleurs ce constat est confirmé par le déremboursement total ou partiel pris en charge petit à petit par les mutuelles.
Complétons :
L’ordonnance du 19 octobre 1945 concerne les risques maladie, maternité, invalidité, vieillesse, décès.
La loi du 22 août 1946 étend les allocations familiales à pratiquement toute la population et la loi du 30 octobre 1946 intègre la réparation des accidents du travail à la sécurité sociale.
Dans un troisième temps, la question de la nationalisation :
Le 2 décembre 1945, nationalisation de la Banque de France et de quatre grandes banques de dépôt (Crédit Lyonnais, Société générale, Comptoir d'escompte de Paris et BNCI. Ces deux dernières donneront naissance à la BNP en 1966).
Le 27 mars 1946 à la “Tribune”, le ministre communiste de la Production industrielle, Marcel Paul s’exclame :
“Allons-nous, alors, assister à je ne sais quelle concurrence entre les entreprises d’électrochimie, les entreprises électrométallurgiques, les chemins de fer et notre mécanisme national d’électricité pour l’équipement de nos chutes d’eau ? Dans ce cas, les errements du passé persisteront certainement. Nous assisterions encore à l’écrémage des meilleures chutes d’eau, à l’utilisation des meilleurs barrages, c’est-à-dire de ceux qui fournissent l’énergie la moins coûteuse.
Il faut avoir une vue d’ensemble de ces problèmes. (...) L’électricité, c’est l’armée de la reprise économique.
Je n’ai pas, pour ma part, oublié ces délégations d’industriels et d’ouvriers qui voulaient produire. (...) Il ne s’agit pas seulement, d’ailleurs, d’un problème économique, pourtant combien crucial, mais au fond, comme on l’a dit, de l’indépendance de la France. Équilibrer nos exportations et nos importations, (...) c’est travailler à garantir la liberté de la France. Il faut lever, sur notre pays, l’hypothèque du charbon étranger”.
Le lendemain, France-Soir titre : “Le gaz et l’électricité nationalisés ce soir ?”
Marcel Paul répond :
“Je demande à l’Assemblée de ne pas se laisser entraîner à multiplier les dispositions administratives. Déjà, à cet égard, le texte qui vous est proposé va plus loin que le projet présenté par le gouvernement."
Le ministre conclut :
“Il faut voter la nationalisation de l’électricité et du gaz :
1) Parce que c’est le programme de tous ceux qui ont lutté pour la libération du pays, c’est le programme du CNR.
2) Parce que tous, ou presque tous, nous l’avons promise au pays, qui nous a donné mandat de procéder à cette réforme.”
Le 8 avril 1946, vote de la loi sur la nationalisation de l’électricité et du gaz, présentée et ardemment défendue par le ministre communiste de la Production industrielle, Marcel Paul.
S’ensuivront :
La semaine de 40 heures, la suppression de l'abattement de 10% sur les salaires des femmes - mais le droit de vote et d'éligibilité des femmes, effectif en 1945, n'était pas prévu dans le programme du CNR -, une augmentation de 130% des retraites, 3 semaines de congés payés pour les jeunes travailleurs. Des syndicats indépendants sont reconstitués.
Discrédité pour avoir largement collaboré pendant l'Occupation avec les Allemands, le patronat s’abstient de s’opposer.
Tombé dans l’oubli, depuis 1946, le rôle déterminant du Conseil National de la Résistance revient dans la Mémoire nationale à un moment où l’exception française est en passe d’être détruite.
Erratum
Le programme du CNR, “Les jours heureux”, annonçait aussi
“la pleine liberté de pensée, de conscience et d’expression, la liberté de la presse, son honneur et son indépendance à l’égard de l’État, des puissances d’argent et des influences étrangères, la liberté d’association, de réunion et de manifestation”.
“Art. 1. La presse n’est pas un instrument de profit commercial, mais un instrument de culture ; sa mission est de donner des informations exactes, de défendre des idées, de servir la cause du progrès humain.
Art. 2. La presse ne peut remplir sa mission que dans la liberté et par la liberté.
Art 3 . La presse est libre quand elle ne dépend ni de la puissance gouvernementale ni des puissances d’argent mais de la seule conscience des journalistes et des lecteurs.”