Continuité ou rupture pédagogique ?
À l'heure de l'urgence à assurer une continuité pédagogique, l'approche intégrale (de Ken Wilber) peut nous apporter quelques éléments de réflexion pour aider à la décision!
Convenons pour la plupart d’entre nous que la crise sanitaire et le confinement qui s’en est suivi nous a plongé immédiatement dans une zone d’inconfort non choisie ni anticipée : peut-on réellement parler de continuité pédagogique ? J’ai choisi ce titre, mais je pense que la réalité est plus cruelle : si rien n’a été anticipé c’est de rupture pédagogique qu’il faut parler ! Assurer la continuité des enseignements est déjà une gageure...
De façon très pragmatique, l'idée est "Je suis organisateur / concepteur de formation / pédagogue et je dois assurer une continuité pédagogique à distance. Quelles sont les questions que je dois me poser ?"
Le but de cet article n'est pas de découvrir l'approche intégrale, mais bien de l'utiliser pour susciter des réflexions autour d'une démarche de continuité pédagogique. Cette démarche peut toutefois être utilisée dans tous les domaines de la vie personnelle ou professionnelle.
Aussi, elle sera ici considérablement simplifiée. L'approche intégrale se propose d'analyser une situation au travers de 4 quadrants : individus, outils, cultures, organisations.
Le quadrant "INDIVIDUS" regroupera tout ce qui a trait à "l'intériorité" de l'individu : ses compétences, son expérience, ses modes d'apprentissage, ses motivations ... C'est le quadrant de la subjectivité individuelle.
Le quadrant "OUTILS" propose une analyse objective, rationnelle, de l'ensemble des ressources à notre disposition. C'est le quadrant de l'objectivité individuelle.
Le quadrant "CULTURES", souvent peu compris et peu utilisé, regroupera l'ensemble des croyances, cultures professionnelles qui conditionnent nos façons d'agir collectivement. Certaines cultures professionnelles sont très compétitive là où d'autres sont plus collaboratives. C'est le quadrant des subjectivités collectives.
Le quadrant "ORGANISATIONS" comprend ce qu'on pourrait appeler "l'analyse systémique", c'est à dire l'étude des organisations, des circuits de décision, de validation hiérarchique, des éléments environnementaux facilitants ou non. C'est le quadrant de l'objectivité collective.
Grâce à cette méthode, nous pouvons établir un petit schéma assez simple qui peut nous aider à mieux questionner des solutions de continuité pédagogique.
Examinons les possibilités de questionnement au sein de chaque quadrant :
INDIVIDUS
Chaque individu en situation formative dispose d'une expérience propre. Est-ce que je peux prendre en compte cette expérience dans la formation ? Comment ?
L'outil que je me propose de mettre en place est-il adapté aux différents modes d'apprentissages des individus ?
Est-ce que je connais le degré de maîtrise des outils numériques des individus à former ? Ai-je un outil adapté ?
Les individus sont-ils autonomes dans leurs apprentissages ou vais-je favoriser l'apprentissage entre pairs ? Ou les interactions avec un intervenant ?
Est-ce que chaque individu va s'adapter, et avec quelle rapidité, à ce qui sera mis en place ?
OUTILS
Mon intérêt se portera-t'il sur des outils libres ou non libres (attentions aux licences, possibilités de diffusion, d'utilisation restreinte, des ressources disponibles etc ...). Libre ne veut pas dire gratuit, tout comme "non libre" ne veut pas dire payant. L'autre question, plus pragmatique sera "outils payants ou gratuits ?"
Qu'en est-il de l'interopérabilité ? C'est à dire de la capacité de mon outil à s'adapter à divers systèmes d'exploitations et environnements logiciels (android, linux, apple, microsoft... ) ? Le format des documents transmis importe également. Puis-je obliger mes étudiants à s'équiper de suites logicielles payantes (même avec un prix modique) pour étudier alors que des formats ouverts et des solutions libres ou à tout le moins interopérables existent ? Des recommandations CNIL et ministérielles (pour les structures publiques) existent.
L'outil respecte-t'il la confidentialité et la vie privée ? Du RGPD ? Qu'en est-il des données des utilisateurs ? Beaucoup de solutions type zoom (et de nombreuses autres) font actuellement l'objet de controverses ...
L'outil nécessite-t'il une installation ou est-il accessible simplement au travers d'un navigateur ?
...
CULTURES
La culture de mon établissement est-elle plutôt centrée sur les élèves (évaluation et apprentissages entre pairs, confrontation des représentations ... ) ou sur la formation et ses objectifs (apprentissages plus "descendants", culture de l'évaluation systématique, mesure des progrès, discipline ... )
Cette culture est-elle de nature à favoriser la compétition (classement, notes ... ) ou la collaboration ?
L'égalité de tous (au sens large) est-elle un principe ? Si oui, ma solution pédagogique a distance permet-elle de l’assurer ?
La formation distancielle fait-elle partie de la culture de l'établissement depuis longtemps ?
Quelle culture de l'évaluation ? Systématique, sommative, formative, entre pairs, auto-évaluation, réflexive, explicitation ...
En somme, l'outil que je me propose de mettre en place est-il le reflet de la culture de mon établissement ou induit-il une rupture majeure ?
ORGANISATIONS
Si des contenus en ligne doivent être produits, qui va les produire ? La production est-elle externalisée ou internalisée ? Quelle sera la chaîne de relecture, de validation et de décision ?
Quels seront les modes et temporalités de diffusion sur une plate-forme (quotidien, bi-quotidien,live, différé, interactions ?)
Quelles méthodes d'interactions avec les élèves ? Forum, chat, mail, vidéos, quizz ?
Quelles modalités d'évaluations (si possibles cohérentes avec à la culture de l'évaluation de la structure!)
Les individus formés ont-ils une organisation leur permettant de suivre les enseignements de façon efficace ? Disposent-ils d'un environnement facilitant ? Local ? Bureau isolé ? Connexion internet ? Ordinateur ? Voisinage silencieux ?
Les individus formés ont-ils des contraintes fortes ? Volontariat ? Enfants en bas âge ? Parent isolé ? Quel temps libre fléché pour les enseignements ?
EN CONCLUSION
Que de questions face à une telle urgence ! Et pourtant le choix d'une solution pour assurer la continuité pédagogique n'est pas anodin et ne peut pas se ramener à des questions réductrices sur l'innovation comme une fin en soi par exemple...
D'aucun pourront penser qu'en temps de crise, l'urgence gouverne et laisse peu de place aux questions; c'est pourtant en situation de crise et d'incertitude que les décisions les plus rationnelles sont attendues et qu'il faut justement se méfier des décisions réactionnelles. Il en va de la confiance que l'on suscite par notre capacité à garder une ligne cohérente.
La solution pédagogique doit être le reflet d'une culture de l'établissement; si la rupture est trop forte, l'adhésion par les équipes et les élèves sera très délicate.
Il faut également se poser la question de la continuité (ou non) organisationnelle qui soutient la continuité pédagogique. Induit-on des changements organisationnels ? Si oui, il faudra communiquer.
Nous avons analysé un dispositif de continuité pédagogique au travers d'une entrée "élèves" mais il est tout à fait possible d'étendre l'exercice avec les équipes pédagogiques. Les 2 sont heureusement liés.
CC-BY-SA-NC
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4 ansMerci pour cette graine qui prendra naissance, il faut toujours le souhaiter avec l'optimisme iraquien Jacqueline
Formatrice coach certifiée
4 ansBelle réflexion David, posons nous les bonnes questions avant d'agir dans l'urgence