Relations client-consultant : une voie entre overdose et boycott ?
Dans la relation client-consultant, le client n'est-il pas le mieux placé pour connaître son besoin ? Mais s’il décide de se faire aider pour un diagnostic ou un accompagnement, comment concilier de manière optimale sa connaissance de l’entreprise et l’utilisation de l’expertise du consultant ?
Un peu d’historique.
L'image du consultant omniscient face au client reconnaissant a largement été entretenue pendant des années dans les missions de conseil réalisées, notamment par les grands cabinets internationaux - j'y ai moi-même apporté ma pierre. Ces derniers ont indéniablement une responsabilité dans les relations qui se sont instaurées avec leurs clients ou prospects, faites d'un mélange de fascination et de rejet. Mais cette responsabilité est en partie partagée, comme l'illustrent ces 2 positionnements extrêmes (mais pas si rares) de dirigeants :
- « Je laisse les clés au consultant car il sait : il l’a déjà fait ailleurs. »
Face à cette approche, le consultant est poussé à prendre la posture : « Quel que soit votre besoin, j'ai la solution » et à reproduire celles mises en œuvre chez les concurrents. Avec des équipes constituées essentiellement de consultants juniors connaissant peu le secteur et a fortiori l'entreprise, il est d'autant plus tentant (et même honorable) de s'appuyer sur des solutions existantes pour pouvoir produire « ce qu’attend le client » dans les délais impartis et avec un bon niveau de qualité, au moins formel.
Dans ce cas de figure, le fait que le client a « laissé les clés » constitue aussi un facteur de pérennisation pour le consultant - quitte à le voir s’aventurer sur des sujets sur lesquels sa légitimité est plus contestable. D’autant qu'une mission de conseil amène souvent l’entreprise « sur un braquet » qu'elle ne peut pas emmener seule - pour employer une image cycliste. Jusqu’au moment où, face aux remontées de ses équipes, le client a le recul suffisant pour se demander si cette cadence est vraiment utile…
- « Je sais déjà à quel résultat je veux arriver mais un consultant est mieux placé que moi pour porter cette recommandation ».
Dans ce cas de figure, le consultant n’est pas forcément en position de remettre en cause « ce qu’attend le client » : et après tout, c’est lui qui paie...
Par ailleurs, si le projet tourne mal, le client, à défaut d’avoir pu optimiser le fonctionnement de l’entreprise, peut limiter sa responsabilité et a l'occasion de réaliser un 2ème acte managérial spectaculaire - après le choix initial du consultant - en mettant fin à son intervention : c’est qui le patron ?
Et je n’ai pas évoqué ici la mission qui mobilise toute l’entreprise et dont le rapport final reste dans un tiroir.
Tout ceci a contribué à construire une image exagérément négative du consultant. C’est ainsi que de nombreuses entreprises passent régulièrement de l'overdose au boycott sur l’utilisation du conseil. Mais ce serait une erreur grave de se priver de son apport incontestable sous prétexte qu’il est parfois mal utilisé. En fait, dans la période de transformation et de recherche continue de l’efficacité que nous vivons, ce serait simplement suicidaire. Au fond, il en est des consultants comme des correcteurs orthographiques de smartphones : sans eux, on perd du temps à tout recréer, mais quand on décide de les utiliser, il est prudent de les surveiller de près !
« Ce qu’attend le client » : c'est quoi, un besoin client ?
A l’affirmation suivant laquelle le client connait forcément son besoin, on peut opposer que sa position initiale représente souvent la perception d’un contexte et d’une envie, construite avec sa connaissance de l’univers du possible. Et la connaissance de cet univers par le dirigeant, focalisé sur la bonne marche de son entreprise, peut être imparfaite sans que cela remette en cause sa compétence. Son credo initial est donc loin d'être à l'abri d'un effet de mode : sans être forcément erroné, il gagnera à être confronté à l'analyse du cas précis de l'entreprise, pour faire un parallèle avec un reproche souvent fait aux cabinets de conseil.
Quelques exemples vécus de positions initiales tranchées, influencées par l’air du temps à différentes époques:
- Je dois faire évoluer mon organisation vers une structure en Business Units
- Je vais sous-traiter mon informatique parce qu’elle me coûte trop cher
- Avec le marketing Digital, je vais pouvoir remplacer une bonne partie de mes forces de vente pour un coût très inférieur
Pour cerner en détail son besoin et élaborer des solutions adaptées à son entreprise, le client pourra à se faire aider par des études et des analyses techniques et organisationnelles, tout en gardant sa perception et son intuition initiale, pour la confirmer ou l'infléchir. Sur l'importance de cet équilibre, l'exemple souvent cité est celui de la création de l'iPhone : si Steve Jobs avait suivi les études de marché, aurait-il créé son produit, qui apportait des solutions à des besoins non encore identifiés par le consommateur/client ?
Pour une collaboration réussie
Comme le disait le philosophe Alain, "Réfléchir, c'est nier ce que l'on croit." Dans cet exercice difficile pour le dirigeant, le consultant peut et doit apporter son expertise et sa valeur ajoutée analytique et créatrice non uniquement pour répondre à l’envie affichée par le client mais aussi pour faire émerger au cours du projet, avec son client et sans se substituer à lui, la solution optimale pour l’entreprise. D'autant qu’il occupe une position unique : il a clairement le pouvoir de faire passer des idées pour lesquelles des voix internes n'auraient pas recueilli la même écoute.
En réalité, la collaboration idéale est celle dans laquelle chacun assume son rôle. D’un côté, le dirigeant d'entreprise doit rester leader dans la définition de la stratégie sur laquelle il va engager sa responsabilité. Le consultant peut alors agir comme un « accoucheur » et un accélérateur. D’un autre côté, le consultant est idéalement placé pour guider le dirigeant sur les pratiques du marché et dans la déclinaison opérationnelle de la stratégie : cette excellence dans l’exécution qui, comme c'est maintenant admis, représente 80% de la réussite d’un projet. Il doit aussi aider à faire converger les visions du Comité de Direction, ce qui n’est pas le moindre de ses défis.
Dans ce contexte, les structures de gouvernance de projet "Comité de pilotage/Groupe de projet" - structure classique mais dont on a parfois tendance à faire l'économie - prennent toute leur utilité. Elles évitent que le dirigeant descende trop dans les détails, tout en permettant de s'assurer à tout moment qu'on reste dans la ligne de la stratégie définie, quitte à l'adapter à l'usage.
En conclusion, le dirigeant gagne à s’appuyer sur des consultants pour optimiser les atouts de son entreprise, en évaluant mieux les opportunités et les risques et en mettant en œuvre les transformations nécessaires. Pour un résultat optimal, il devra le faire avec exigence mais avec ouverture, et avec la capacité de se remettre en cause. De son côté, le consultant peut être son meilleur allié dans cette quête s’il sait faire preuve d’écoute, de créativité et de pédagogie, sans démagogie ni arrogance.
De là à dire qu’on a le consultant qu’on mérite… En tout cas, on peut affirmer que travailler avec des consultants, ça s’apprend !
Manager de transition - Opérations et Industrie 4.0
6 ansTrès bon article. Merci Jean Pierre. Le fait d'avoir tenu des rôles de consultant externe, de consultant interne et d'opérationnel est une expérience clé de Jean Pierre. Pour le consultant la relation avec son client est un équilibre à gérer en permanence. C'est souvent son premier risque à gérer dans sa mission surtout lorsqu'il est seul. Certaines interventions de "conseil" peuvent d'ailleurs dériver en prestations de "service", ou sont définies comme telles dès le premier jour. Le "consultant" n'apporte alors que sa force de travail. Mais c'est une autre discussion : "Où est la frontière entre une prestation de conseil et une prestation de service ?".