Se conjuguer à l'imparfait du présent.
Un sentier dans ma forêt boréale un jour d'automne. Photo Prisca Lépine

Se conjuguer à l'imparfait du présent.

Chapitre 1: Moi, moi et mon Tweeter

« Nous avons atteint ce niveau de capacité de destruction vis-à-vis nous-mêmes et notre planète, mais nous n’avons aucun moyen pour fuir ». Stephen Hawking

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Cette citation de Hawking, l’un des plus illustres astrophysiciens de notre temps, révèle en quelque sorte que nous avons maintenant en main des armes puissantes en termes de savoirs, de capacité à franchir nombre de limites sans vraiment mesurer le niveau de risques que nous prenons quand nous n’avons pas en main la conscience de soi et de celle des autres. Mais est-ce que nous avons envie de prendre le temps d’engager une réflexion sur les différentes influences qui façonnent notre perception du Monde et sur celle qui façonne aussi nos comportements, nos états d’être? Si nous ne le faisons pas est-il possible que nous soyons confrontés éventuellement à quelque chose qui nous dépasse? Si nous ne le faisons pas, pourrions-nous devenir acteur de quelque chose que nous ne voulons pas? Chamath Palihapitaya, ancien vice-président de Facebook lors d’une conférence au Stanford Graduate School of Business en 2018 a fait cette déclaration: “Je crois que nous avons créé des outils qui déchirent le tissu social. Par des boucles de réactions à court terme, avec les “j’aime” ou “thumbs up” basés sur la dopamine, ils détruisent le savoir-vivre ensemble.” Ou encore Jean Twenge, un professeur de psychologie à l’Université de San Diego, Californie qui dans la même année, confirme que : "il n’y a plus de doutes possibles entre l’augmentation fulgurante des problèmes de santé mentale et l’utilisation du téléphone et la surexposition aux technologies qui impactent notre cerveau dans son développement et son fonctionnement."

Nous ne pouvons renier la recrudescence des multiples signes de détresse pourtant déjà visibles, tel que l’insatisfaction permanente, l'extrémisme, la perte de sens, l'exploitation d'un sentiment d'injustice individuel qui se "pandémise" pour justifier nos exigences, le besoin d’évasion psychique par le matérialisme, la consommation à outrance de substances, la recherche du divertissement, la superficialité, la vérité "tweet" qui s'écrivait en 140 caractères. Est-ce seulement un réflexe défensif qui se trouve l’indicateur de notre niveau de capacité d’adaptation déjà atteint?

Après un bon nombre d’années passées à analyser les comportements humains, à accompagner des gens dans leur cheminement individuel, à travailler et diriger des équipes sur divers terrains et divers milieux, j’ai fait un certain constat : Malgré l’évolution des conditions de vie, malgré les technologies, malgré l’avancement de la science, nous sommes de plus en plus vulnérables psychologiquement. Notre estime de soi est de plus en plus fragilisée, notre sensibilité est surinvestie au point qu'il est encore plus difficile maintenant de la différence entre ce qui provient de ses distorsions cognitives et de ses besoins. Nos perceptions sont bousculées, nos convictions se durcissent et notre sens des valeurs subit de fortes secousses et ceci se passe presque sous le nez de notre conscience sans avoir le moindre doute que nous sommes en train de jouer avec le présent mais aussi notre avenir en tant qu'êtres humains.

Ces échappatoires séducteurs nous font oublier l'importance de connecter avec ce temps présent - qui nous porte à croire que le temps aujourd'hui passe tellement vite...il passe vite parce que nous ne sommes déjà plus en mesure pour beaucoup d'entre nous, de nous y arrêter. Nous changeons de routine, d'activités, de zone géographique, mais nous ne nous arrêtons pas.

Bien sur, les technologies du numérique nous facilitent la vie et nous permettent d’accéder à un nombre presque infini d’informations mais à la fois, elles arrivent à nous faire oublier le plus important, valoriser l'interaction sociale du moment, apprendre de soi par le regard de l'autre, écouter le vent, se voir non pas comme des conquérants mais retrouver humblement sa place au coeur de l'univers et assumer notre "infiniment petit" et notre besoin des autres et de la nature pour "DEVENIR".

Les réseaux sociaux ont fabriqués l'illusion du pouvoir par l'illusion de la connaissance. Les influenceurs ont trouvé le filon de ces faiblesses, et sont devenus ces stars à suivre que nous fabriquons nous, par notre propre quête. Parallèlement, avec la venue de ces plateformes de discussions et de plus en plus d’espaces consacrés aux opinions, nous avons développé notre sens de riposte critique qui fait figure trop fréquemment de notre manque de sens d’analyse et de réflexion. A titre compensatoire, nous extrapolons dans le jugement et le puritanisme, l’extension d’une fausse moralité, bien volatile et d’une élasticité qui s’ajuste à tout opportunisme. Nous vendons les recettes de succès, nous voyons la médiatisation comme un territoire à conquérir, comme au temps des chercheurs d'or.

Malgré le risque de choquer, ces plateformes arrivent à sacraliser l’ignorance et ce qui en découle au même titre que le savoir même si ce n’est pas sans risques. Un antagonisme peu banal qui dissimule un affrontement de taille contre l’élitisme et le bien-pensant. Une révolte de concepts qui s’est infiltrée sinueusement pour légitimer le droit de se faire entendre peu importe sa classe sociale ou son lieu de naissance sans avoir à répondre à des paramètres imposés, faussement associée à la liberté d’expression. Ces traqueurs de popularité n’ont de pitié que pour les chiens battus et les chats perdus. Ils peuvent choisir de se faire spectateur d’une tentative de suicide, de s’abreuver de mensonges, détruire des vies, jusqu’à inviter au viol ou au meurtre. 

Ces attitudes peu crédibles, souvent teintées de vives émotions, parfois agressives voire violentes, dissimulent notre niveau de volatilité. En fait, sans nous rendre vraiment compte, nous sommes à fleur de peau. Nous cherchons quelque chose dans ce monde qui semble n’en laisser qu’à ceux qui ont les moyens de s’acheter des droits, des privilèges et du pouvoir. A travers les écrans, toutes ces tentations qui s’offrent à nos yeux, toutes ces inégalités qui se révèlent, attisent notre sentiment d’impuissance et d’injustice. L’éthique ne semble pas encore une préoccupation sérieuse car elle risquerait de freiner significativement l’afflux de fidèles potentiels et de réduire les marges des grandes firmes de marketing qui profitent de l’innocence sociale ou de la vulnérabilité. L’horreur de l’erreur, est que chacun pense avoir raison d’agir comme il le fait et pour justifier d’une telle ou telle autre position, et qu'il faut obligatoirement se légitimer par le poids du nombre qui pourrait penser de la même manière. Mais, il est déjà pourtant évident que la vérité n’est jamais plus vraie parce que plus de gens y croient.

Ces plateformes offrent une exaltation imaginaire à ceux qui cherchent sans savoir qu'ils cherchent en fait à compenser le vide intérieur et les stigmas provenant de vies qui sont très tôt, hypothéquées par la perte de repères familiaux, sociaux, par la souffrance restée inaudible, par la non-reconnaissance des différences, le mépris et le jugement.

Il est malheureux que la scolarisation ne permette pas l'apprentissage de l'esprit critique. Si nous combinons cette énorme carence avec une faible estime de soi, alors nous sommes pour ainsi dire perdus. Qu’avons-nous comme mécanisme pour trier et savoir ce dont nous avons réellement besoin du faux besoin ? Eh bien, nous n’en avons pas. D’abord parce que nous sommes très occupés à devoir nous adapter aux changements. Les derniers 50 ans ont été plus rapides sur le plan du développement social que les derniers 300 ans. Donc, nous sommes à tenter tant bien que mal à suivre le rythme que ces technologies nous imposent, nous sommes débordés par des faits d’actualité négatifs, aggressants, décevants qui amplifient notre sentiment d’impuissance individuel. 

 Bien sur, tout ceci nous transforme aussi dans notre façon de définir le Monde. Si tout ce qui nous semblait inaccessible ou loin devient à notre portée, la notion du temps et de la distance n’ont plus le même sens. Nous sommes arrivés à cultiver un autre format de socialisation lié en grande partie à cette explosion des réseaux sociaux et de la démocratisation de l’internet sur tous les continents. Nous ne pouvons plus faire marche arrière. 

Si les technologies offrent l’avantage d’un accès à tout ce qui se passe en temps presque réel avec le potentiel de créer des liens avec des gens et ouvrir sur des opportunités partout sur la planète, en contrepartie, nous ne sommes pas plus heureux aujourd’hui. Bien que cette communication virtuelle mondialisée donne le sentiment de se rapprocher des autres, nous sommes de plus en plus nombreux à mourir non seulement dans la solitude mais à mourir de solitude.

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