Sortir des « Temps Anciens » à l’AP-HP
L’Etablissement Public Hospitalo-Universitaire AP-HP est un lieu plein espoir. Certains de mes collègues doivent me prendre pour un fou en lisant cette phrase, mais je le pense sincèrement à condition de sortir des « Temps Anciens ».
J’ai commencé mon internat à l’AP-HP il y a 25 ans. J’y suis devenu chirurgien du foie et transplanteur puis PU-PH. J’y ai vécu et j’y vis encore des aventures "extraordinaires", où l'enjeu, la vie, fait sens et intensité. J'ai grandi au contact de chirurgiens célèbres qui avaient consacré leurs existences à construire des royaumes au sein desquels ils régnaient en Maitres. Au terme de mon internat, à la fin des années 90, j'ai vécu le départ à la retraite de ces Grands Mandarins auxquels ont succédé une génération de « Chefs de Service » construite dans la dévotion du rapport de « Maitre à Élève ». Cette génération, inspirée par la précédente, a souffert d’une forme « anachronisme enseigné » dans une société qui se transformait plus vite que les services Hospitalo-Universitaires et d’une fuite des pouvoirs vers une administration, mieux formé à la gestion, sous une pression financière de plus en plus forte depuis 2010. Jamais dans l’histoire du travail, autant de générations vraiment différentes, les boomers, les X et aujourd’hui le Y ont été amenées à travailler ensemble.
Aujourd’hui, à 50 ans, je fais partie de la génération X qui a vu souffrir la deuxième. J’ai vu souffrir, en dehors de quelques-uns, cette génération des "Temps Anciens". Beaucoup ont encore des postes stratégiques dans le monde « Hospitalo-Universitaire ». Certains d’entre eux, avec beaucoup de sincérité, écrivent des tribunes dans le Monde qu’ils font signer par des centaines de collègues qui n’osent imaginer un autre système que celui de leur « Patron ». Cette génération des « Temps Anciens » se tourne avec nostalgie, tristesse et colère vers le passé dans une spirale mortifère où sont tenus comme responsables de tous les problèmes de l’AP-HP, la rentabilité financière de l'hôpital et les administratifs qui ont pris le pouvoir.
Evidemment, une augmentation de l’ONDAM est nécessaire pour pouvoir s’adapter au vieillissement de la population et aux prix des traitements actuels. Evidemment, il est nécessaire de clarifier la mission de chaque administratif à l’hôpital. Evidemment, il est nécessaire d’apporter plus de flexibilité locale dans l’organisation des soins mais il est aussi fondamental de se poser quelques questions sur notre métier de soignants et, peut-être, envisager de nouvelles pistes.
Il est temps de sortir du "Temps Anciens" pour que nos hôpitaux publics et, plus largement, notre système public de soin puisse survivre. Je vous livre ici mon analyse en proposant quelques solutions.
Le principal problème actuel de l’hôpital est la pénurie d’infirmières et d’infirmiers. Ce sont elles et ce sont eux, qu’ils soient en hospitalisation, en réanimation, en consultation, aux urgences ou dans les blocs opératoires qui font fonctionner nos hôpitaux. Ils représentent la véritable « cheville ouvrière » de l’hôpital. Sans eux, pas de soins, pas de chirurgie, pas de surveillance et nous sommes très loin de pouvoir les remplacer par une intelligence artificielle. Ce sont eux qui faut choyer, respecter, écouter, payer et surtout inspirer en leurs donnant la possibilité de faire autres choses que de poser des perfusions et faire des bilans sanguins. L’apparition des Infirmières en Pratiques Avancées (IPA) va dans le bon sens et nous devons accompagner le déploiement de ces nouvelles professions en leurs confiant sans crainte certaines de nos missions actuelles. A côté de ces IPA, il faut réfléchir à la place que pourrait prendre certaines infirmières dans le recueil d’informations cliniques ou biologiques qui serviraient aussi bien la clinique que la recherche quand il est tellement difficile de trouver et surtout de fidéliser des Attachés de Recherche Clinique. C’est la donnée de santé notre richesse donc donnons-nous les moyens de la récolter correctement pour faire, et vendre potentiellement, une recherche clinique de qualité
Recommandé par LinkedIn
Il est temps d’imaginer un CHU différent. Un monde où les Hospitalo-Universitaires ont des droits autant que des devoirs. Les droits, on les connait, c’est un statut social, la certitude de l’emploi, un rayonnement et pour certains des consultations privées qui contrastent parfois avec l’engagement médiatique pour sauver l’hôpital public accessible à tous. Les devoirs, ce seront ceux qui nous feront rayonner par une mesure objective de la qualité de soins, de l’enseignement, de la recherche et de l’innovation.
Ayons le courage d’évaluer nos résultats, en particulier lorsque c’est « simple » de le faire. C’est notamment le cas en chirurgie car nous disposons désormais d’un entrepôt de données de santé et de méthodes tel que le « benchmarking » qui permettent de déterminer la norme. Ayons le courage d’évaluer et de comparer nos résultats à d’autres approches thérapeutiques. Nous avons les moyens d’analyser précisément la qualité de nos soins dans un bon nombre de spécialités. Faisons-le et affichons-le pour que les malades puissent sélectionner les meilleurs centres. Ce ne seront pas exclusivement les malades français qui viendront mais également des malades étrangers qui choisiront de se faire soigner à l’AP-HP en raison d’une qualité objective des soins. Cette valorisation financière de la qualité devrait intéresser l’ensemble des équipes de soin, de l’aide-soignante aux chefs de service. Sortons de l’égalitarisme pour aller vers de l’équité. Sortons du paiement à l’acte qui favorise le nombre, quelques soit la qualité et parfois la pertinence, et cessons de nous faire uniquement évaluer par des journalistes du Point.
Ayons le courage de définir ce qu’est un service HU en fonction de la qualité et du nombre de publications (en particulier multicentriques), du nombre de malades inclus dans des études académiques et industrielles, de la mesure de qualité des enseignements théoriques et pratiques réalisés auprès des Internes et des Chefs de Cliniques. Pourquoi le statut HU est-il si long et si complexe à obtenir ? Combien de HU gardent la même productivité dans le domaine de la recherche et de l’enseignement après leur nomination ? Il est temps de reconnaitre à leur juste valeur académique les initiatives visant à faire travailler ensemble des ingénieurs, des sociologues, des médecins et des chirurgiens plutôt qu’une énième publication rétrospective monocentrique.
Cessons de confondre Recherche et Innovation : la recherche crée de la connaissance, l’innovation apporte une solution qu’elle soit organisationnelle ou technologique. Une solution qui soit la plus ergonomique, la plus éco-responsable et la plus rapidement utilisable pour qu’elle devienne un produit qui soit vendu. Ceci est essentiel car, dans le domaine de l’innovation biomédicale, ce qui n’a pas de prix a rarement de la valeur. C’est l’innovation qui doit financer notre recherche et ainsi créer de la richesse en s’appuyant sur des Fonds d’Investissements adossés à nos établissements de soins.
Plus que jamais, il est nécessaire de transformer nos manières de valoriser nos expertises, nos données, nos plateaux techniques pour que l’argent privé qui n’a jamais été aussi important qu’aujourd’hui vienne investir dans nos hôpitaux publics. Pour ça, il faut transformer notre rapport à la sempiternelle « Propriété Intellectuelle » (PI) qui est la suite logique de l’archaïque « Mon Malade ». Plutôt que se battre pour de la PI institutionnelle dont on ne fait souvent pas grand-chose, enrichissons les innovateurs eux-mêmes. Imposons que ces médicaments innovants, ces nouveaux dispositifs médicaux soient largement et rapidement utilisables dans les CHU qui les ont développés ou améliorés. Marions des grandes institutions comme l’AP-HP et/ou les Universités d’Ile-de-France avec des Fonds d’Investissement pour qu’ils investissent chez nous plutôt qu’à Boston ou à Shangaï et s’il est nécessaire de changer le statut juridique des hôpitaux, faisons-le ! Le capitalisme mondialisé nous impose d’être Français ET Européen et en compétition avec les US ou la Chine, mais pas avec l’Hôpital Beaujon ou la Pitié Salpêtrière.
C’est cette révolution du CHU qui nous sauvera. Celle qui produira de l’innovation, et donc de la richesse, à partir de problèmes identifiés par des aides-soignantes, des infirmières ou les médecins, celle qui fera évoluer nos métiers et les rôles de chacun. Celle qui imposera qu’un « Chef d’Equipe » comprenne ce qu’est le Deep Leaning, le rôle d’un DataScientist, les risques d’un algorithme ou la garantie humaine de l’IA. Celle qui imposera aux administratifs d’être au staff le matin, celle qui fera que l’on aura envie de devenir un soignant parce que c’est encore la méthode la plus simple de donner un sens à sa vie.
Je ne crois pas que la disparition des pôles puis des DMU redonne espoir aux équipes et fasse revenir les soignants. Ce n’est pas le retour en arrière de la toute-puissance du Chef de Service, de la Surveillante Générale et du Doyen qui va inspirer les jeunes de la génération Y et faire revenir les infirmières. Ce n’est pas MON service, MON malade, MON infirmière qui va sauver le système, c’est la mise en commun des données et des expertises du 1er centre hospitalier d’Europe
Le principe du fonctionnariat en médecine engendre de facto le principe du mandarinat et la baisse de productivité après nomination
Directeur général | Directeur Affaires publiques | Santé
2 ansMerci Eric Vibert, MD, PhD pour ces réflexions et propositions inspirantes.
MD, Vascular and Endovascular Surgery, Head of department CH Cholet France
2 ansMerci Rico pour ton engagement ! Tout à fait d’accord avec toi.. A bientôt. L
Premier Facial Plastic Surgeon - Experience the art of natural-looking deep plane facelifts. Introducing the expert preservation facelift, the advanced evolution of the deep plane technique.
2 ansHelas ce n’est pas du tout gagner…. le syndrome du petit chef est encore très present dans beaucoup de service.. Beaucoup de jeunes brillants partent des hôpitaux car sans statut de HU, ils ne sont pas considéré. La force de recherche viens des jeunes et il faut les mettre en avant ! Tout mettre le dos sur des seules chefs de service est illusoire de nos jours . Un service c’est une équipe (externes, internes, chirurgiens, infirmieres, aides soignants…) et c’est ca le secret !
gynécologue -obstétricienne--
2 ansExcellente réflexion , mais de l'idée à la réalisation cela va être hélas très long .La lutte contre les egos est difficile . Courage , la direction est bonne .