Ces drôles de zèbres de résilient(e)s !

Mardi soir je suis allé voir Philippe Croizon et son épouse Suzana Sabino à la Maison de la chimie à Paris pour assister à leur sublime conférence « Tout est possible ». Un intense moment de partage et d’émotion. Bouleversant.

J’ai rencontré Philippe il y a une petite année dans un studio d’Europe 1 où nous participions ensemble à une émission sur les rêves et la résilience préparée et présentée par Pauline Clavière, formidable journaliste et précieuse amie. Philippe se trouvait pendant toute l’émission face à moi. Dès le premier regard, je me suis dit qu’on allait passer un joli moment entre purs résilients. Nul besoin de mots pour le savoir, les résilient(e)s ont un radar interne pour ces choses-là et "se trouvent" naturellement. C’est ainsi.

J’ai l’avantage de connaître l’histoire personnelle de Philippe, son accident, sa dépression puis son spectaculaire retour à la vie, construit à coup d’invraisemblables défis relevés aux quatre coins de la planète. La réciproque n’est pas vraie en revanche, Philippe ne connait rien de moi. J’interviens dans cette émission comme consultant en neurosciences, en tenue de camouflage donc, comme savent si bien le faire les résilients. Seuls Pauline et mon ami le docteur Bernard Anselem, qui participe également à l’émission, en savent (un peu) plus sur mon parcours personnel singulier.

Les résilient(e)s sont extrêmement difficiles à décoder pour l’extérieur. Si (bien) entourés qu’ils soient, ils restent à vie marqués au fer rouge par les épreuves et la souffrance endurée. Mais aussi, et surtout, par cette puissante détermination qui, à un moment donné de leur vie, a fini par les faire remonter à la surface. Souvent contre toute attente d’ailleurs, y compris la leur. Ils tirent de ce long périple âpre et intime une force intérieure et une dose d’orgueil au-dessus de la moyenne. Ils le savent, cela devient leur marque de fabrique. Mais étrange paradoxe, ce qui les a sauvés finit par les condamner à une certaine forme de solitude. Ils s’en accommodent. Ils la recherche même parfois. Leur destin est ailleurs.

Quitte à être encore sur terre, autant en effet servir à quelque chose en donnant le maximum de sens à cette présence.

Beaucoup de résilient(e)s vont alors employer leur rage de vivre à s’inventer un nouveau destin, très loin du scenario initial envisagé, en tentant de faire de leur vie un roman. Et surtout en ayant comme ultime obsession d’être utile pour pouvoir se dire, au dernier souffle, qu’ils auront finalement bien fait de ne pas partir trop tôt...

Les résilient(e)s brouillent les pistes en permanence avec une arme bien à eux qu’ils ne se privent pas d'utiliser : l’humour et l’auto-dérision. Vous êtes-vous demandé pourquoi ils étaient si drôles et parfois si corrosifs ? L’humour, outre le fait d’exorciser le passé, permet d’occuper l’espace et donc d’éviter les questions embarrassantes. L’une des pires craintes d’un résilient est en effet d’être pris à défaut, en se trouvant réduit dans le regard de l’autre à son trauma. Une perspective insupportable pour un résilient qui va donc, pour s’en prémunir, faire le show et amuser la galerie. Cela ne fait pas de lui pour autant un super héros. Simplement il ira ensuite se cacher, pudeur oblige, pour pleurer. Seul, comme toujours, dans ses moments de vérité. Il fait ce qu'il peut au fond6.

Le résilient déteste la compassion et plus encore la pitié. Il laisse volontiers la victimisation aux autres, elle lui rappelle de trop mauvais souvenirs lorsque les vents étaient contraires...

J’ai beaucoup ri en écoutant Philippe mardi soir. Beaucoup pleuré aussi. Car si je sais combien le résilient a une capacité hors norme à se jouer des autres en les amenant exactement là où il a décidé de les amener, je sais aussi combien celui-ci reste au fond de lui-même infiniment vulnérable et fragile. Même dans l’hyper-contrôle, il nous arrive d’être rattrapé par la patrouille de l’émotion. Et c’est tant mieux, force de caractère et hypersensibilité forment un très joli couple. C’est particulièrement le cas lorsqu’il s’agit de parler de nos enfants, les images reviennent vite en tête et la carapace alors se fissure le temps d’une seconde.

Merci mon cher Philippe à toi et ton épouse pour ce merveilleux moment. Et quelle sublime idée notre merveilleuse Pauline a eu de nous inviter sur son plateau !

Je suis heureux de te connaître.

Amitiés

Erwan