Le Big BUG

Le Big BUG

J’entends encore souvent : « Les hommes et les femmes ne peuvent pas être égaux car ils sont différents » C’est là une confusion des concepts qui bloque le raisonnement et l’accule à une impasse. « C’est différent » cela signifie « Ce n’est pas identique » et rien d’autre ! Et on voit des études et des gens qui recherchent compulsivement des différences immuables ( biologiques, "naturelles", génétiques) entre les femmes et les hommes afin de justifier le raisonnement...

Je me suis longtemps interrogée sur ce blocage, ce bug cognitif que beaucoup de personnes manifestent. En décortiquant les raisonnements des uns et des autres j’en suis arrivée à une hypothèse :

Le sexisme comme le racisme est issu d’un « big bug cognitif », une série de biais cognitifs qui se développe en plusieurs étapes.

 A la base, se manifeste ce « big bug cognitif » qui se traduit par une difficulté à associer les concepts d’égalité et de différence. Un glissement sémantique positionne ces deux concepts « différence » et « égalité », comme deux opposés d’une même dimension : "Egal" est devenu l'opposé de "différent".

Alors que qu’il devrait y avoir deux paires d’opposés :

"Identique" est l’opposé de "différent".

"Egal" est l’opposé d’"inégal"

 

Mais à quel moment « Différent » devient le synonyme « d’inégal » ?

 

Première étape : Constat de différence .Certaines différences sautent aux yeux comme la différence physique entre les femmes et les hommes ou la différence de couleur de peau entre humains.

Deuxième étape : Hiérarchisation. Puisqu’ils sont différents donc inégaux alors ils ne peuvent pas avoir la même valeur...

Valorisation : Un dérapage de niveau de logique, du physique au politique entraine une hiérarchisation entre les « différents » par l’élection d’un groupe comme supérieur à l’autre groupe. Les membres du groupe supérieur deviennent l’élite. L’estime de soi des membres du groupe dominant est renforcée et les fonctions du pouvoir leur seront accessibles. Et les membres du groupe ont tout intérêt à défendre leurs privilèges. ET il est préférable, en terme de confort de vie, d'être l'épouse d'un membre du groupe dominant...

Dévalorisation : Une démotivation à développer les membres du groupe des inférieurs : Leurs potentiels et leurs qualités définies comme mineurs limitent le retour sur investissement. Le développement des potentiels des membres de ce groupe ne sera pas prioritaire, l’estime de soi des sujets de ce groupe sera dévaluée. Les fonctions d’exécution leur seront affectées.

Complémentarité : L’attribution d’une compensation aux membres du groupe inférieur par l’assignation d’une autre catégorie de qualités qui fonde une complémentarité : ils sont rationnels/ elles ont de l’intuition, ils sont conceptuels/ elles sont pragmatiques, ils sont courageux/elles sont prudentes ; ils sont forts/elles sont fragiles ; ils sont durs/elles sont sensibles, ils sont rebelles/elles sont obéissantes...Cette création de "complémentarité" agit comme un renforçateur des attitudes attendues et un stabilisateur du système inégalitaire. Elle n'est qu'une "fausse compensation" puisque que le groupe valorisé bénéficie du beurre (le pouvoir) et de l'argent du beurre (la rémunération) alors qu'il  reste au groupe infériorisé le plaisir de bien faire, la grâce d'un dévouement désintéressé (l'abnégation), le courage de l'implication, le "bonheur" de plaire ( en se conformant aux attentes) qui octroient la reconnaissance sociale et quelques gratifications matérielles.

Consolidation: La justification de cette catégorisation binaire par un dogme (parfois même " sacré), une origine naturelle et immuable qui cristallise cette complémentarité (essentialisme cognitif) , institue une morale et un ordre. Les privilégiés n’ont pas à être gênés de leur statut puisque leurs privilèges sont issus d’une différence biologique naturelle et constituent la base de l’ordre social. Les discriminés intériorisent leur infériorité, parfois l’acceptent pour la rendre supportable, la vivent comme une fatalité, la transmettent voire la défendent : ce n'est pas une victimisation mais c'est leur place "naturelle". Alors, l'anatomie devient le destin. Et le tour est joué !

Ce raisonnement soutient que pour être égaux il faudrait être identiques. Alors le concept d’égalité ne pourrait s’appliquer à personne puisque même les jumeaux homozygotes ne sont pas strictement identiques…Et par conséquent, il faudrait retirer la notion d'égalité de la devise de la république française. L'égalité des droits entre les humains ne suppose pas une stricte similarité génétique ou biologique ! En revanche l'égalité des droits entre les femmes et les hommes remet en question le droit patriarcal qui donne aux hommes la légitimité du pouvoir.

Peut-être que ce bug résulte de l’apprentissage scolaire, ou l’on trace le signe (= ) "égal" en opposé du signe (=/) "différent" ? Si nous avions tous été éduqué.e. s dès l’enfance à nommer ce signe (=/ ) inégal plutôt que différent, échapperions-nous plus facilement à ce biais cognitif ?

Quand on parle d’égalité, de quelle égalité parle-t-on ? Quand on parle d’égalité entre les humains, on parle d’égalité en termes :

  • de droit : au niveau économique et salarial, au droit à la parole comme à celui d’être entendue, au droit de disposer de son corps et au droit à l’accès à l’éducation et à l'exercice de responsabilités si les compétences le permettent. Ce que les femmes n’ont pas, pas encore puisque qu’il existe encore en France, en 2016, une différence salariale de près de 24% ( alors que les femmes sont plus nombreuses à avoir un diplôme d'études supérieures).
  • de valeur : les êtres humains ont la même valeur peu importe leur sexe, leur religion, leur origine, leur appartenance syndicale (...) et leurs autres différences.
  • de potentiel : c’est-à-dire que les différences physiologiques entre les femmes et les hommes, comme celles d'apparence physique ou de couleur de peau , n’impliquent pas des inégalités de capacités cognitives ou de traits de personnalité qui conditionneraient leur avenir et les assigneraient à certaines fonctions...Méfions-nous de nos biais et schémas mentaux qui peuvent nous faire évaluer une personne davantage en fonction de son appartenance à un groupe qu'à sa singularité...

 Le sexisme comme le racisme relève d’erreurs de raisonnement, d’un processus de catégorisation binaire basé sur des préjugés et des croyances erronées.

L’être humain est un être complexe à plusieurs dimensions : biologique, psychologique et sociale, en interaction les unes avec les autres : chaque dimension influençant les autres et réciproquement. Les croyances auxquelles nous adhérons influencent nos émotions, nos comportements, la qualité de nos pratiques, nos perceptions, nos projets et par conséquent notre avenir et même notre santé (effet placebo). De nombreuses expériences le démontrent ( cf. effet pygmalion, menaces du stéréotype). Je me souviens de l’histoire de ce type retrouvé mort de froid après une nuit enfermé dans un camion réfrigéré, débranché…

Plutôt que de vouloir conserver et justifier une organisation délétère qui empêche le développement des talents de certaines personnes, nous pouvons choisir de renforcer les problèmes ( racisme, sexisme, discriminations) ou favoriser le développement des unes et des autres. Les dirigeants, les managers, les coachs, les professeurs et toutes les figures d'influence ont un rôle à tenir...

Nous avons tous la possibilité de changer nos croyances, de nous débarrasser des schémas mentaux qui pourrissent la vie, la nôtre et celle des autres. Et si on y pensait ?

Gerard E. STEIN. (HeForShe).

Global Women's Catalyst for the Future of our Planet

8 ans

On est bien d'accord ! Merci de toutes vos illustrations à mes remarques synthétiques ...et merci pour l'éclairage de votre expérience. (suis à Los Angeles d'où le décalage dans mes réponses)

Gerard E. STEIN. (HeForShe).

Global Women's Catalyst for the Future of our Planet

8 ans

Je trouve cet article très intéressant. L'hypothèse émise est assez riche...mais elle ne suffit pas à elle seule à expliquer la situation... En effet, elle fonctionne comme si seule la rationalité nous construisait. Or il faut faire une place au moins aussi grande à l'affectif qui modèle amplement les comportements : éducation reçue (familiale et scolaire) expérience de vie (rivalité fille/ garçon dans les fratries par exemple...)... Et peut être peut on aussi prendre en compte le QI qui en deçà d'un certain chiffre ne permet pas de structurer une pensée rationnelle fiable...

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