Les repentirs
Ce que les couches de peinture cachent parfois
(Somnio, sum : je rêve, je suis. Initialement publié le 14 janvier, revue et repentie et deux autres exemples de repentirs cités dans le texte.)
Un repentir est une partie d’un tableau recouverte par d’autres couches de peinture, mais qui est apparue, souvent en filigrane, au fil du temps. Cette caractéristique apparait sur les huiles souvent anciennes. Les raisons qui poussent un peintre à recouvrir une section de toile sont nombreuses et liées à des considérations esthétiques ou iconographiques. Les mœurs d’une l’époque en particulier ont aussi conduit des artistes à modifier leurs réalisations. À la volonté du Vatican, Michel-Ange habilla certains nus. Un peintre peut aussi vouloir changer la composition d’une œuvre. C’est le cas d’une cruche transformée en calebasse par Vélasquez sur Le Bouffon Calabacillas achevé de peindre en 1639. Les contours de la cruche initiale sont à jamais visibles par delà les couches supérieures d’huile.
Des erreurs techniques peuvent aussi faire apparaitre une certaine forme de repentir. C’est le cas sur la tentation de Saint Antoine par Dali peint en 1946 où, au premier plan, Saint Antoine, au premier plan tenant un crucifix à bout de bras, est nettement coupé par la ligne d’horizon dont les couleurs d’arrière-plan foncent tout le bas du personnage.
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La science nous permet aujourd’hui d’identifier d’autres formes de repentirs à l’aide de la photographie aux rayons infrarouges ou de la radiographie. Les rayons X, notamment, permettent de révéler des tracés opacifiés par les couches supérieures. Grâce à cette technique, il est possible d’identifier certaines pièces de maître à leurs auteurs légitimes. Les copistes ignorent les brouillons tracés sous les couches de peinture. Ils ne feront que peindre ce qui est évident, ce qui est apparent. Mais une œuvre d’art authentique cache ses secrets. On a pu avec cette méthode attribuer des pièces à certains grands maîtres et en discriminer d’autres provenant d’élèves ou de faussaires en analysant la présence ou pas de tracés liminaires ne correspondant pas à l’œuvre finale. L’œuvre d’art évolue pendant sa réalisation alors que la copie se fie à ses tracés.
Loin de dévaloriser les œuvres, les repentirs ajoutent un charme dont les collectionneurs raffolent. Ils sont néanmoins rares et on peut estimer qu’ils le seront d’autant plus dans un futur proche et cela pour de nombreuses raisons. Une des premières étant l’utilisation étendue de l’acrylique. Sa polymérisation rapide, contrairement au séchage lent de la peinture à l’huile, ne favorise pas les échanges entre les couches. Les techniques n’utilisant pas un médium couvrant comme le dessin au feutre où l’aquarelle ne permettent pas non plus à un artiste de repentir une section de son œuvre pour des raisons de transparence évidentes. D’autre part, nombre d’artistes contemporains ne se soucient plus des techniques permettant à leur réalisation de traverser les époques, condition nécessaire à l’apparition de repentirs. Nous vivons aussi à l’heure de la reproduction numérique qui inhibe complètement la notion même de repentir. Par extension dans le domaine du tout numérique, les NFTs ne vieilliront pas. Ils sont par définition infalsifiables.
Les artistes qui prennent le temps de créer des œuvres qui se transformeront délicatement avec le temps vendangent le bon vin de demain où l’authenticité passera aussi par ce qui est invisible à l’oeil.