La révolution paradigmatique et philosophique de l’agriculture
La brutalité des affrontements et l’importance de l’enjeu des mega-bassines ne peuvent se comprendre qu’à l’aune des sciences humaines.
Le premier point à soulever est le changement de paradigme auquel nous sommes confrontés avec les bouleversements climatiques : l’eau va devenir rare, entre autres problèmes. Pour cultiver la même chose qu’aujourd’hui, il faudra plus d’eau (il en faut déjà +15% j’entendais à la radio). Ceci implique donc de revoir nos choix et nos techniques de production. Ce changement est de type paradigmatique et nécessite une remise en question profonde à laquelle se heurtent nécessairement des résistances.
Ces résistances trouvent leurs racines dans la philosophie positiviste selon laquelle le progrès scientifique permet à l’homme de résoudre tous les problèmes et de maîtriser le monde qui l’entoure. Le positivisme d’Auguste Comte est dans la continuité de l’évolutionnisme de Darwin, il voit le progrès technique et scientifique comme une marche en avant dans l’histoire. Ce progressisme qui place l’homme au centre de tout lui donne l’ascendant sur la nature a été la religion d’Etat depuis la seconde révolution industrielle. La rationalisation du monde par l’approche scientifique où même la guerre est organisée selon le modèle productiviste (puis les camps de concentration) projette la civilisation moderne dans ce que Max Weber a nommé le « désenchantement du monde » où il n’y a plus de place pour les croyances et la sensibilité. A la découverte des camps et des expérimentations scientifiques sur l’homme et l’animal, le scientisme rationnel, dénué d’humanité, est dénoncé. L’humain cherche à retrouver du sens. L’approche scientifique doit alors servir le bonheur, la satisfaction des besoins et la consommation de masse. Engagé dans la révolution agricole d’après-guerre, c’est dans ce contexte que l’Etat va œuvrer à la mise en place du productivisme agricole. Le productivisme ne doit plus servir des fins guerrières mais remplir les frigos et nous apporter de l’abondance. Toute l’organisation de la production prend une forme de productivisme ou la condition animale et les impacts sur la santé et l’environnement n’ont guère leur place. Des générations d’ingénieurs et de techniciens agricoles sont formés avec ce modèle rationnel de pensée productiviste.
La 3ème révolution industrielle et l’avènement d’Internet conduisent à un nouveau processus de "destruction créatrice" pour reprendre Schumpeter, mais également au retour de la quête de sens, de remise en question de l’anthropocentrisme et de la façon dont nous considérons le vivant et l’écosystème. L’impact de cette prise de conscience rend des questions autrefois secondaires, tout à fait incontournables. Ne pas prendre en compte les aspects de bien-être animal ou de responsabilité environnementale et sociétale aujourd’hui, est être complétement à contre-courant des attentes. Il y a là un choc violent des visions du monde. Le consommateur vous regarde dans la lucarne d’internet de des réseaux sociaux, le conso-acteur, l’activiste, le militant, aussi.
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C’est là qu’une grille de lecture sur l’innovation responsable devient tout à fait indispensable (quel est le besoin ? quels sont les impacts ?) et que l’innovation frugale (Jugaad) peut être une alternative. L’innovation frugale est une philosophie de conception qui suggère de faire mieux avec moins dans un monde où les ressources sont limitées et où les problèmes dépassent les frontières, comme pour le manque d’eau. Elle privilégie la valeur pour l’utilisateur plutôt que la sophistication technologique. Mais pour voir les possibilités d’innover autrement, il faut accepter la démarche de l’innovateur, entrer dans le brouillard pour trouver une autre solution. Ouvrir son esprit à l’utopie et à la créativité.
Alors POUR ou CONTRE les bassines ? Passons-les dans la grille de l’innovation responsable et frugale !
Professor at ESSEC Business School | Program Director CIPh | Research at University Paris Nanterre LinkedIn Top Voices in Education
1 ansMerci chère Benoîte 🙏