Chronique résonance #24 · Le jardin des ours (Fanny Ducassé)
Le livre en quelques mots
Dans son ouvrage « Le jardin des ours »[1], Fanny Ducassé met en scène un petit ours qui imagine un jardin, « un jardin comme une maison où siroter des souvenirs colorés ». Il y retrouve ses chers Papi et Pépé, disparus, et se souvient des doux moments partagés avec eux…
La plume et le crayon de Fanny Ducassé font des merveilles pour aborder le sujet des souvenirs de celles et ceux qui nous ont quittés. Je vous parle ici de ma rencontre avec cette œuvre, et des résonances qu’elle a suscitées.
Résonance 1 · Un lieu-retrouvailles
Depuis que ses grands-pères ne sont plus, c’est la pagaille dans la tête du petit ours :
« Les souvenirs colorés remplissent mes idées, dansent et se cognent dans ma tête. Si bien que, parfois, je ne sais plus m’y retrouver. »
D’où l’idée de créer dans sa tête un lieu, non pas pour se débarrasser des souvenirs, mais pour les mettre à distance, leur faire une place, pouvoir les retrouver à des moments choisis.
La question de la place des êtres chers disparus m’évoque un passage de l’ouvrage « Les morts à l’œuvre »[2], dont j’ai déjà parlé ici. Dans ce livre, Vinciane Despret retrace notamment le parcours de Louise Albertini, qui a perdu son fils Stéphane dans les attentats du Bataclan.
« Au cours de l’été 2015, Stéphane avait été invité dans une belle propriété en Toscane, un domaine vinicole où il avait séjourné. Il (…) avait envoyé (à sa mère Louise) des photos accompagnées d’un mot : « Maman, vraiment, il faut que tu viennes, ça te plairait, je suis sûr, tu serais enchantée. C’est beau, c’est beau, c’est beau. » En septembre 2016, Louise décide de s’y rendre. « Et quand j’étais sur la terrasse, il y avait des petites collines partout, les cyprès, etc., j’ai dit : « Stéphane est là. » Il était dans toute l’atmosphère. Il n’était pas dans des choses, il était dans l’atmosphère. Et donc je veux retourner là-bas parce que c’est là qu’il est. Donc je lui avais trouvé une place. »
Cette façon de trouver un lieu, ou des lieux, où retrouver nos chers disparus déjoue une représentation commune : celle consistant à penser que renouer avec nos morts serait un acte funèbre, orienté vers le passé. Or, ceci peut-être exactement l’inverse, un choix du présent, tourné vers la vie. Comme en témoigne l’écriture de Fanny Ducassé qui adopte le présent comme temps de narration.
« Dans cet endroit, on peut trouver Papi penché, affairé à ses laitues. »
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Résonance 2 · Les souvenirs, matière sensible
« Un jardin où siroter les souvenirs »
D’emblée, Fanny Ducassé suggère le caractère sensible des souvenirs : ils prennent la forme...
... d’odeurs : « L’air du soir sent le linge propre et la terre mouillée. »,
... de couleurs : « Chez Papi, sur le rebord de la baignoire, il y a une drôle de fiole bleue »
... de sons : « Dans mon jardinet, à l’ombre du saule pleureur, on entend aussi Pépé ronfler. »,
... de goûts : « à l’heure du goûter, nous mordons dans nos tartines de beurre salé »...
Résonance 3 · La complicité grand-parent ➰petit-enfant
Les familles évoluent, les distances entre les lieux d’habitation des uns et des autres s’allongent… Faire vivre le lien entre grands-parents et petits-enfants relève parfois du défi. J’avais eu l’occasion de le vérifier dans cette enquête que j’avais menées en 2023.
Pourtant, un mot était souvent revenu pour qualifier ce lien : la tendresse. Une tendresse que Fanny Ducassé parvient tout fait à restituer avec la délicatesse de son crayon et la poésie de cette ronde de souvenirs qu’elle met ici en scène. A découvrir.
[1] DUCASSÉ F., Le jardin des ours, Éditions Thierry Magnier, 2015
[2] DESPRET V., Les morts à l’œuvre, La Découverte, 2023
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5 moisMerci Marie pour cette nouvelle chronique jeunesse 🙏🏻 Ta première résonance m'évoque le très beau roman "Les mémoires d'un chat" de Hiro Arikawa. Toujours un grand plaisir de te lire !